Ayant étudié les débuts du christianisme, je hais la religion catholique dans laquelle j'ai été élevé. La moindre église me fait frémir.

J'ai pourtant un faible pour les films français qui évoquent la solitude d'un prêtre de campagne dans sa paroisse (à l'exception du film de Bresson). J'aime "Léon Morin, prêtre", et j'aime ce film. Ils ont en commun une grande ambiguïté, mais pas dans le même sens. Là où le film de Melville insiste sur le mélange de cynisme et d'idéalisme du prêtre, "Sous le soleil de Satan", comme son titre le suggère, est un film surnaturel.

Fable, conte ? Je répugne à employer ces mots, pour une raison qui m'échappe. Sans déflorer toute l'intrigue, le film suit les tortures métaphysiques d'un jeune prêtre, Donissan, qui au cours d'une marche à travers la lande du Pas-de-Calais, rencontre le diable, qui lui donne le pouvoir de voir à travers les gens. Donissan sera de plus en plus tourmenté, ne sachant plus s'il agit au nom de Dieu ou du diable, et persuadé qu'il est devenu la proie du "Roi de ce monde", quand la population le tient pour un saint.

Belle réflexion sur la distinction entre foi et religion, piété et Eglise, le film est à son meilleur quand Donissan est renvoyé dans les cordes de sa hiérarchie, qui tient à se démarquer du catholicisme "ancienne version" à base de fustigations et de miracles. A cela s'ajoute l'aspect surnaturel - et non fantastique, car dans le fantastique on n'est pas sûr, tandis que dans ce film il est difficile de croire Donissan victime d'hallucinations. A mon sens, du moins. Les marques de dévotion ou d'horreur que suscite progressivement le curé, y compris de la part de ses collègues, sont toujours plus troublantes, inquiétantes. Je dirais qu'il n'y a que le final qui m'a un peu déçu. L'image de Depardieu mort dans son confessionnal et à la fois repoussante et sublime, mais elle est amenée un peu "comme ça". Peut-être un revisionnage changerait-il mon opinion, qui sait ?

Au niveau formel, c'est superbe. La séquence de marche sur la lande a sa place dans les anthologies du cinéma, pour sa lumière rouge-grise oblique et omniprésente, pour son montage déroutant, pour sa belle progression dramatique et sa richesse narrative.

Le rythme est à la fois lent et haché, avec des plans séquences qui s'enchaînent sans grand souci du raccord (ce qui fait placer Pialat dans les expérimentaux). Comme dans son "Van Gogh", il y a de très belles scènes de rues ou de campagne : gamins jouant au ballon, passage sous un pont, etc... La musique sert bien le propos, sans être mémorable.

Il y a enfin la direction d'acteurs, très équilibrée, avec deux rôles marquants : Depardieu bien sûr, et Bonnaire, dont le jeu de semi-possédée aux airs d'ange déchu surprend et convainc. Mais les seconds rôles sont également très réussis, du voyageur-Satan à tous ces braves paysans et paroissiennes du Nord.

C'est un très beau film français, moins révolutionnaire qu'on a pu le dire, quoiqu'assez peu accessible de prime abord. Il mérite d'être vu plusieurs fois, car il pose des questions angoissantes.
zardoz6704
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le 12 mars 2013

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le 12 mars 2013

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