Véritable exercice de style, le film d’investigation journalistique trouve son équilibre entre le thriller et le film dramatique. Les Hommes du Président comme mètre étalon, Thomas McCarthy parvient à dépoussiérer l’exemple, et à le renouveler.
Spotlight posterUne pincée du Journal (Ron Howard) pour le côté Michael Keaton versus the world, une once de Zodiac (David Fincher) pour garder en haleine, et un grand bol des Hommes du Président (Alan J. Pakula) pour la rigueur journalistique. Voici en substance la recette simple et efficace que nous propose Thomas McCarthy. Simple, mais pas à la portée de tous. Car si le film de référence dans le domaine est en filigrane tout le long du métrage, son ambition est toute autre.
Les Hommes du Président racontait davantage l’histoire de Bob Woodward et de Carl Bernstein, et leur enquête pour révéler au monde le scandale du Watergate. Spotlight, est un film choral. Les personnages ne sont que les outils de la vérité qu’ils veulent servir. Des interprétations pertinentes et des caractères attachants malgré la quasi-absence de background les concernant.
Pavé dans la marre
Engoncée dans sa routine, l’équipe Spotlight, dirigée par Walter Robinson (Michael Keaton), a pour mission de mener des enquêtes au long cours. De creuser ses sujets et d’en sortir des papiers d’une rigueur analytique exemplaire. Seulement, comme de vieux briscards, ils se contentent désormais de leur petite enquête annuelle sur les « chiffres de la police » comme ils disent.
Alors qu’arrive un nouveau rédacteur en chef, Marty Baron (Liev Shreiber, aussi insoupçonnable qu’impeccable dans ce rôle), leur immobilisme est mis au pied du mur. Il faut du lourd, du gros, de l’inoubliable. Nous sommes alors en 2001, et le rédacteur en chef souffle une idée fort intéressante aux oreilles de Spotlight : rouvrir le dossier des prêtres pédophiles de Boston.
Vaste sujet, que McCarthy et son coscénariste Josh Singer parviennent merveilleusement à retranscrire à l’écran. Un scandale sous forme d’énorme baffe dans la tronche qui nous pousse inexorablement à nous poser la seule question qui compte : pourquoi n’en avons-nous si peu entendu parler ? Ces œillères, les journalistes de Spotlight se rendront compte bien vite qu’ils les possédaient également, et qu’ils évoluent dans une ville où le chant des enfants de chœur met mal à l’aise et où le sourire d’un prêtre fait froid dans le dos.
Café froid et feuille de chou
Spotlight ne s’embarrasse d’aucune technicité. L’exigence est ailleurs. Les seules fulgurances visuelles sont suggérées plus par les personnages que par l’objectif de McCarthy. Comme cette confession d’une victime à Sacha Pfeiffer (Rachel McAdams), qui s’arrête soudainement sur le plan d’une aire de jeu d’où s’échappent des rires d’enfants, et d’une Eglise qui trône en arrière-plan.
Comme ses journalistes, Spotlight creuse son sujet, et livre un drame de 2h08 extrêmement bien ficelé. Personne n’en fait trop tant l’ensemble de la production est dédié à son thème. On retiendra d’ailleurs plus du casting secondaire que des têtes d’affiche. Si ce n’est pour Mike (Mark Ruffalo), sans doute l’un des meilleurs journalistes que l’on ait vus à l’écran depuis Robert Redford. Mais dans l’exercice de la sincérité et de la fragilité, le panel de victimes duquel la troupe devra tirer les vers du nez en remuant un passé douloureux s’en tire bien mieux. Des entrevues déchirantes, pourtant ô combien nécessaires pour servir la seule religion de laquelle nos protagonistes sont adeptes : la vérité.
Chaque coup de fil se présentant à la fois comme l’opportunité d’étayer l’article et comme la crainte d’ajouter un nom à la longue liste des victimes. Spotlight est-il un brûlot à charge contre le clergé ? Jamais. Un numéro d’équilibriste qui distribue des taquets à tout le monde. Car personne n’est innocent dans cette histoire. L’archidiocèse de Boston étant aussi responsable que ne le sont leurs avocats, les ouailles trop crédules ou les journalistes eux-mêmes, qui parfois ne daignent accorder à un tel sujet plus d’une brève dans les actualités locales. L’anathème est jeté non pas sur la perversion de ce clergé, mais sur l’hypocrisie et la sélectivité de nos combats.
Spotlight est le film le plus abouti de Thomas McCarthy. Celui qui lui assurera une place de choix parmi les réalisateurs américains. Un sujet grave et une direction d'acteurs parfaite font de son film d'investigation le nouveau standard du genre. L'examen est réussi haut la main, et même si l'on aurait pu faire si bien avec des acteurs moins prestigieux, tout le monde tient son rôle à la perfection.
Publié sur hypesoul.com