Raconter la genèse de l’une des épopées les plus adulées du cinéma, boucler la boucle par l’autre sens, c’était un défi passionnant, mais aussi immensément casse-gueule. C’est concrétiser non pas un fantasme, mais des millions ; et les concrétiser, c’est un peu les abîmer, les démolir. Presqu’inévitablement. Et La Menace Fantôme n’a pas tout à fait été ce que j’ai pu en attendre.


Et quelque part, c’est peut-être pour ça que je l’adore tant.


Pied de nez, conséquent mais parfaitement logique : là où la trilogie baignait dans un univers en plein obscurantisme moyenâgeux, cet épisode pilote est un formidable revival des péplums de la grande époque, mâtiné de cette SF au charme désuet de l’après-guerre et d’hommages à Kurosawa. D’où cette délicieuse sensation de redécouverte d’un univers pourtant bien connu – et qui explose ici comme un prodigieux big-bang originel – plein de fraîcheur dans les ambiances qui en émanent, d’inattendu dans la reformulation qu’il fait de la trame narrative de la Forteresse cachée, dont Un Nouvel Espoir était déjà une habile relecture, en lui apposant une nouvelle courbure, dans une refonte complètement nouvelle des fondations de la saga. Le tout sur un canevas thématique très dense, sans doute plus ambitieux qu’auparavant, avec une dimension mythologique mixte vraiment passionnante.


Et puis j’adore son parfum Miyazakien - dont l’essence est probablement à trouver dans les traits légèrement « japonisants » des fabuleux designs de Doug Chiang. Une saveur particulière que je retrouve aussi bien dans la forme que dans le fond.


La forme d’abord : plus organique et douce, avec ses couleurs parfois pastels, parfois chatoyantes, ces nuages cotonneux, omniprésents à l'image, qu'ils soient au-dessus de ces collines verdoyantes ou de ce château si haut dans le ciel.


Puis dans le fond : avec d’abord ce couple de héros-enfants, pas encore adulte mais obligés déjà de se montrer responsables, trop jeunes pour évoluer dans un monde que les adultes ont fait rigide, conservateur et ambivalent, plein de mensonges, d’enjeux complexes et absurdes, de jeux de pouvoirs et de manipulation. Un monde dont ils semblent pourtant devoir porter tout le poids avec les espoirs, le courage, la sagesse et la candeur salvatrice que les adultes ne semblent parfois plus avoir. Puis cette idée de symbiose sous-jacente au récit, matérialisée en cet Eden qu’est Naboo, où technologie et nature s’enlacent avec harmonie et respect par opposition à la grotesque suprématie mécanique de cette Fédération mercantile.


J’aime aussi comment le film embrasse entièrement le merveilleux comme aucun autre épisode ne l’avait fait ni ne le fera plus dans la saga (d'où ce côté légèrement spielbergien) : dans ses décors vertigineux qu’il fait habiter par une faune des plus bigarrées, ses plans fourmillants de vie, son foisonnement enchanteur digne des plus belles planches de Moebius. Et parce qu’aussi, bien souvent, Lucas place sa caméra à hauteur d’Anakin, à hauteur d’enfant. Si les autres films de la saga sont traversés de visions spectaculaires, de tableaux dantesques, nous faisant entrevoir un univers fascinant, aucun n’a suscité chez moi ce degré précis d’émerveillement quasi-total. Et - je l'avoue et l'assume - quasi-enfantin.


Alors, le film n’est pas parfait, loin s’en faut. Lucas se montre parfois maladroit : dans sa façon de faire côtoyer le merveilleux avec des enjeux beaucoup plus adultes (n’est pas Miyazaki qui veut), dans la tonalité plus sentencieuse qu’il donne à ses dialogues (et que l’on sentait déjà poindre dans Le Retour du Jedi), dans sa volonté d’abondance qui lui fait introduire des concepts et des idées par centaines, certes tous intéressants et dont on sent qu’ils sont destinés à être développés ensuite, mais qui ont tendance à créer la confusion, dans son avant-dernier acte aussi à la construction opératique trop audacieuse (4 actions montées en alternance, avec une lisibilité préservée tout le long mais dont le rythme frénétique des enchaînements en amoindri l’immersion)...


Mais pour Qui-Gon, le Chevalier Jedi tel que j’avais toujours rêvé de le voir, noble et bienveillant, protecteur rassurant aussi bien que redoutable guerrier, et auquel Liam Neeson apporte son élégance calme et sa stature impériale. Jubilatoire de le voir patiemment entamer la solidité d’une porte blindée grâce à l’incandescence de sa lame, clin d’œil génial à la Planète Interdite ! Pour la course de module, véritable prouesse dans sa chorégraphie grisante de l’accélération. Pour cet incroyable duel à trois, séquence qui domine de très haut les 3 autres qui se déroulent en parallèle, portée par la chorale d’un John Williams miraculeux du début à la fin de sa partition. Pour la scène du Sénat, que je trouve magistrale. Pour Natalie Portman qui apporte une grâce fragile à sa reine adolescente. Pour ces funérailles qui laissent nos trois jeunes héros orphelins pour affronter le drame à venir.


Et pour ces petits moments touchants, simples, presqu’évanescents, que j’affectionne énormément quand le film prend le temps de s’y attarder. Amidala seule dans son palais regardant par la fenêtre une situation qu’elle n’a pas voulue. La vie sur Tatooine avec ses marchés, ses paris et ses tempêtes de sable. La complicité entre Shmi et Qui-Gon et ce geste de la main posée sur l’épaule. Le cadeau d’Anakin à Padmé pour sceller le souvenir de leur rencontre et les adieux qu’il demande à la Reine de lui transmettre, ignorant qu'en réalité il s'adresse à elle. Ses nombreux regards échangés, sans paroles, qui soulignent une connivence, une tension, une inquiétude...


Et pour cette unique fois dans toute cette guerre des étoiles où les personnages prennent le temps de contempler les cieux étoilés, se laissant à rêver d’explorations et d’aventures aux confins des astres.

Omael
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le 21 avr. 2014

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Omael

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