Sucker Punch est finalement un bien étrange objet dont la narration surprend au premier abord et nous rappelle que Snyder est, pour la première fois de sa carrière, amené à mettre en scène son propre scénario.
Le premier constat est l’écriture des personnages qui apparaît assez grossière et empêche une réelle empathie. L’exemple le plus symptomatique est ce prologue entièrement musical qui nous présente une Baby Doll déjà en lutte pour sa survie et celle de sa sœur, sans qu’elle soit caractérisée par quoi que ce soit excepté une voix off au discours fataliste. Formellement très abouti, ce segment en forme de clip crée dès le début du film met en place une distance entre les protagonistes et le spectateur qui ne s’affinera jamais. Un choix qu’on peut cependant deviner volontaire à la vision d’un des premiers plans du film nous montrant une scène de théâtre induisant le côté factice des personnages du film tous existants sur plusieurs niveaux de réalités. Et c’est là le côté surprenant du film qui, sous son aspect basique de compilation friquée de scènes d’actions décomplexées qui peuvent paraître gratuites, cache des thèmes un peu plus profonds.
Alors, évidemment, ne vous attendez pas à une réflexion hautement philosophique sur le sens de la vie mais à un film moins bête qu’il n’en a l’air et semble dire si l’on est suffisamment attentif : ne vous fiez pas trop aux apparences. Il y a en effet autant de niveaux de lecture que de niveaux de réalité et plus les événements sont difficiles à vivre pour l’héroïne dans la réalité, plus elle s’en éloigne. Le film montrant majoritairement des scènes fantasmées, on peut échapper à cette idée que l’héroïne subit des choses sordides puisqu’on adopte son point de vue et qu’elle refoule finalement constamment la réalité. La métaphore de la danse de Baby Doll en est le meilleur exemple, cette danse qu’on ne verra jamais…
A chacun son interprétation mais Snyder, sous ses airs de réal’ peu subtile, joue le petit malin avec nous. Le pari est en tout cas risqué puisqu’il est probable que de nombreuses personnes passeront à côté du film et de ce qui s’y déroule réellement. J’aimerais pousser l’analyse plus loin mais pour ne rien gâcher, je préfère laisser à chacun son interprétation du métrage qui est avant tout un film généreux en action et en références.
Et sur ce point, il faut avouer que Snyder sait y faire et enchaîner les morceaux de bravoure divisés en missions, chacune délivrant un objet permettant l’évasion de ces belles guerrières. Chacune de ces missions les transporte dans des univers très stylisés et différents. Les donzelles affronteront des samouraïs robots dans un temple japonais, des soldats zombies dans les tranchées de la seconde guerre mondiale, des orques, des dragons dans un château médiéval et des ninjas robots dans un train futuriste. Et oui, rien que ca. Snyder, après avoir fait trois métrages à succès, a ici carte blanche et se fait plaisir à compiler ses fantasmes de japanimation, d’ambiance steampunk, de retrofuturisme, de culture comic-book, de comédie musicale. Il a l’intelligence d’adapter sa mise en scène à chaque univers utilisant par exemple la caméra à l’épaule dans les tranchées avec un montage nerveux ou des mouvements de caméra plus souples et amples dans l’univers « chanbara ».
Malgré ce systématisme du ralenti, les scènes d’action qu’il nous balance sont très maîtrisées et extrêmement lisibles, exploitant à chaque fois à merveille la géographie du terrain de jeu : la scène du train est à ce titre en tout point hallucinante, nous offrant un plan-séquence magistral passant de l’intérieur à l’extérieur à une vitesse folle et sans que cela ne devienne confus. C’est bel et bien LA grosse réussite du film dont on n’attendait pas moins.
Une autre réussite du film est sa bande-son malgré son utilisation parfois poussive et un peu envahissante, surtout en début de métrage. Le choix des morceaux est plutôt judicieux et offre une belle résonnance avec les thèmes abordés. Il s’agit majoritairement de reprises de tubes très connus allant de Jefferson Airplane à Björk. L’utilisation de ces relectures sont plus que de simples accessoires (mais la B.O va sûrement se vendre comme des petits pains) et servent carrément de vecteurs de narration pour qui prendra le temps de s’intéresser aux paroles. Snyder fait une utilisation de sa musique très proche de celle de Watchmen et c’est d’ailleurs sans surprise qu’on retrouve Tyler Bates à la composition, déjà présent sur tous les précédents films du réalisateur. On sent bien son passé de réalisateur de clips et le lien quasi-fusionnel qu’il entretient entre le son et l’image. Ce qui, dans le cas présent, est à double tranchant est diminue l’intensité émotionnelle de certaines scènes comme le meurtre de la sœur de Baby Doll.
C’est le principal reproche que l’on pourra faire à Sucker Punch, le manque de profondeur et d’humanité des protagonistes est le véritable coup bas fait au spectateur et qui fera que l’on adhère ou pas au film. Car au-delà de ça, les acteurs font bien leur taf : Emily Brown est parfaite , pour ce personnage jouant sur la dualité fragile/déterminée, innocente/charmeuse, et crédible dans les scènes d’action de même que les autres bombes qui l’accompagnent même si clairement leur traitement a été un peu bâclé. Le méchant vilain Oscar Isaac est assez charismatique et se la joue force tranquille avec une belle nonchalance tandis que le personnage de Carla Gugino qui campe avec justesse la protectrice des filles est malheureusement sous-exploitée.
Mais attendons de voir la version director’s cut et ses 18 minutes supplémentaires qui pourront peut-être minimiser ses quelques lacunes.
Pour résumer, Sucker Punch est film imparfait mais généreux, imparfait dans sa narration très nivelée donnant un air jeu vidéo ou dans son traitement caricatural des personnages ce qui ne l’empêche pas d’être un spectacle enivrant, sincère, faussement simpliste et véritablement intelligent.

LudovicMerger
6
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le 16 mars 2017

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Ludovic Merger

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