En voyant Sully, le spectateur peut s'interroger. Pourquoi Clint Eastwood, réalisateur d'une quarantaine de film, s'est-il intéressé à cette histoire de catastrophe aérienne qui tient, finalement, à un titre de Presse : un pilote chevronné pose un avion de ligne sur le fleuve Hudson. Un accident au dénouement heureux, une maitrise exceptionnelle du pilote ayant tenté et réussie cette manœuvre audacieuse, de quoi alimenter les chaines infos de quelques belles images tournant en boucle... Et un bon sujet de conversation autour de la machine à café. Mais l'évènement offre-t-il suffisamment de matière à un long métrage de cinéma ? L'incident n'a duré que 208 secondes sans vraiment engendrer de complications. L'avion s'est posé sur le fleuve, les secours ont débarqués les passagers terrorisés, point final.


Robert Zemeckis s'était déjà inspiré de ce fait d'hiver pour son film "Flight Plan", mais il n'avait pas manqué d'étoffer l'événement à grands coups de drame et de romanesque. Le pilote héroïque devient sous sa caméra un alcoolique irresponsable, en pleine dérive existentielle. Film sur la rédemption d'un homme amerrissant sur l'Hudson, alors qu'il était sur le point de sombrer... Le Sully de Eastwood ne romance pas son histoire en ajoutant une dose de démon intérieur, une couche d'antagonisme forcé, ou une pelletée de péripéties superflues soutenues par des accords de musiques orchestrales. Comme un pianiste de jazz exécutant des variations sur un même thème, Eastwood travaille et enrichie son récit en complexifiant la narration : courts flashbacks impressionnistes, accident restitué par petites touches et suivant des points de vues différents, visions fugitives de cataclysme qui hantent l'esprit tourmenté du héros... Mais la principale caractéristique de Sully reste la sobriété.


Eastwood s'interroge sur le tissu humain qui constitue l'étoffe des héros. Pour Sully, cette matière se compose de doutes, de sang froid, de professionnalisme et, surtout, de choix. Cette importance capitale du choix, de la prise de décision solitaire et courageuse, fait de Sully un héros Eastwoodien par excellence. Durant toute sa carrière, le réalisateur aura mit en lumière des personnages se dirigeant suivant leur propre compas moral, souvent en rupture avec les attentes de la société. Cinéaste de l'individualisme humaniste, il laisse ses personnages jauger du bien et du mal, du bon et du mauvais, en fonction de la situation unique à laquelle ils sont confrontés. Eastwood ne verse jamais dans le film à thèse. Dirty Harry (dont il a réalisé plusieurs volets), ne fait pas l'apologie de la peine de mort, pas plus que Jugé coupable ne donne de leçon sur le sujet. Million Dollars Baby ne vante pas les mérites de l'euthanasie ; American Sniper ne justifie en rien la guerre, à moins de considérer le dytique Mémoires de nos pères et Lettres de Iwo Jiwa comme des condamnations... Sully appartient à cette race de héros en bute aux chicanes d'une bureaucratie mauvaise payeuse, suite à une décision cruciale que lui seul pouvait prendre.


Ce film peut aussi se voir comme un hommage rendu à New-York, sa beauté urbaine, ses services de secours, sa population traumatisée par l'ombre du terrorisme... Eastwood filme des scènes nocturnes ou matinales de toute beauté, lorsque les néons des bars et des magasins se reflètent encore sur l'asphalte humide de novembre, ou quand la lumière timide du petit jour effleure les rives de l'Hudson, éclairant un navire et ses avions de chasse stationnés à quai... Il faut saluer la qualité de la photo qui apporte cette texture envoutante à l'image, ce clair-obscur classieux typique des dernières œuvres du grand Clint. En suivant Sully dans les rues de New-york lors de ses séances de footing, en filmant les tours miroitantes des buildings ou les panneaux de publicités géants illuminant la nuit, Eastwood magnifie la ville.


Si American Sniper était comme une poignée de sel sur les plaies américaines, Sully fait plutôt office de baume apaisant. Tout au long du métrage, des inconnus viennent spontanément l'embrasser, le serrer entre leurs bras, le féliciter. Comme s'ils avaient besoin de cette bonne nouvelle pour éclairer la morosité d'un monde de plus en plus hostile, fait de guerres qui s'éternisent, de crise financière, de menaces permanentes avec le traumatisme du 11 septembre, toujours dans toutes les mémoires... Un miracle "à l'américaine" comme ce peuple les aime tant, digne d'Hollywood, pour reprendre foi en l'avenir. Une sorte de parenthèse enchantée qui soigne le cœur blessé de l'Amérique. Sully accepte ce rôle de guérisseur momentané, en dépit de ses doutes et de ses hésitations, se prêtant au cirque médiatique sans rechigner et aux blagues scénarisés des Late Show.


Enfin, un mot sur l'excellente interprétation de Tom Hanks, juste et touchant de la première à la dernière seconde, sans jamais en rajouter. Certes, c'est moins impressionnant que Di Caprio se roulant par terre en hurlant à la lune ou Sandra Bullock aboyant dans l'espace avant de pleurnicher... Mais ce genre d'interprétation, tout en intériorité et en finesse, mériterait aussi son lot de récompenses. Avec Sully, Eastwood signe un film simple, personnel, plus proche du travail d'orfèvre sur miniature que du chef d'œuvre sur grande toile. Petit film, oui, mais rudement réussi.

docteur_match
7
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le 15 déc. 2016

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