Summer Wars
7.1
Summer Wars

Long-métrage d'animation de Mamoru Hosoda (2009)

Alors le film a UN défaut, mais alors ça me gâche le film... Alors que sans ça serait probablement le meilleur Hosoda :


L'informatique, dans ce film, c'est de la MAGIE. Vraiment, alors que c'est le cœur du scénario, ça devient un prétexte à tous les Deus Ex Machina possibles et imaginables.


Déjà parlons sécurité informatique. Si vous faites un peu d'algorithmique vous avez probablement remarqué que Kenji, le personnage principal, étudie dans les transports en commun l'algorithme de Shor. Pour faire un gros raccourci scientifique, cet algorithme est le seul qui serait capable de craquer en un temps pas dégueu la plupart des systèmes de sécurité actuels, basés sur un cryptage utilisant les nombres premiers : le RSA (pour plus de détails très bien vulgarisés, rdv ici : https://interstices.info/nombres-premiers-et-cryptologie-lalgorithme-rsa/) (tl;dr).


Sauf que cet algorithme, pour être réalisé, demande d'être implémenté sur un PUTAIN D'ORDINATEUR QUANTIQUE (https://www.youtube.com/watch?v=bayTbt_8aNc) (tl;dw), et pour le moment l'algorithme ne fonctionne pas en pratique. Le film se basant sur un univers de science fiction, on peut supposer qu'il marche, et qu'une intelligence artificielle (celle du film : Love Machine) pourrait utiliser la puissance de différents ordinateurs à travers le monde afin de craquer la sécurité du monde d'Oz.


Par contre qu'un mathématicien arrive à tout déchiffrer de tête en une nuit puis, à la fin du film, en quelques SECONDES, mais alors mais c'est la WORST SÉCURITÉ EVER, OU ALORS ON EST DANS MATRIX ET KENJI A SAUVEGARDÉ L'ALGORITHME DE SHOR DANS SON CERVEAU AVEC UNE DISQUETTE (trop de caps lock)


L'incohérence tient ici dans le fait que l'univers du film est trop proche du nôtre : dans un monde où le RSA n'existerait pas et où le meilleur système de sécurité serait craquable par les meilleurs mathématiciens, le film fonctionnerait. Sauf que là on a un putain d'Algorithme de Shor à l'image, donc ça prouve que le RSA, ou du moins un substitut, existe et qu'il faut de tels algorithmes pour le craquer.


Ensuite, autre magie informatique cette fois moins technique et encore plus handicapante : battre l'IA dans un jeu vidéo = supprimer l'IA. En fait le monde informatique est ici traité comme un monde disposant d'une réalité physique : les avatars des personnages sont capables d'avoir des expressions faciales ; lorsque Kenji fait signe à Love Machine de regarder à gauche pour faire diversion, elle le fait, et il en profite pour s'enfuir ; l'IA a besoin de manger les avatars pour voler les comptes des utilisateurs ; lorsqu'on enferme l'IA dans une maison, elle ne peut pas sortir de la maison parce qu'elle est bloquée par les murs. Et tuer Love Machine dans le jeu, c'est supprimer le fichier "Love Machine.exe".


Bref, une accumulation de choses cohérentes dans un univers avec une réalité physique mais complètement fausses dans un monde fait de 0 et de 1. Bref, c'est un peu comme Matrix, sauf que dans Matrix le code est fait pour mettre en place une réalité virtuelle poussée où les programmes ont apparence d'êtres humains, alors que là Oz c'est un truc que tu regardes sur ton petit écran de portable : aucun sens.


Dans un monde informatique cohérent : à partir du moment où l'IA est passée outre la sécurité informatique, elle n'a pas besoin d'avatar pour voler les comptes des utilisateurs, pas besoin de se battre avec le système de combat du jeu, elle n'a pas besoin de mélanger des trucs pour foutre en l'air le trafic routier et les systèmes hydrauliques : elle modifie le code, et c'est tout.


Ce qu'aurait dû faire (et fait un peu) le film, c'est réussir à montrer visuellement ce qui se passe dans le code. Dans le cas du trafic routier, on peu imaginer que Lovu Machinu bidouille le code et que ça se traduit visuellement par le mélange des panneaux de signalisation : là, ça marche. De même que son avatar devienne de plus en plus monstrueux au fur et à mesure qu'elle vole des comptes : ça représente visuellement l'empirement de la menace et le fait qu'elle gagne de la puissance informatique en utilisant les processeurs des PCs qu'elle a volé.


Par contre, lorsqu'elle est enfermée dans des milliers de maisons, euh ça traduit quoi informatiquement ? De même, si manger les avatars n'était qu'une représentation du fait de hacker un compte, alors comment est-ce que Kenji peut faire signe à Love Machine de regarder à gauche puis s'enfuir avec King Kazma dans les bras pour éviter qu'il soit mangé ? L'IA ne devrait pas voir de problème à hacker son compte !


Et là il faut être d'accord : si l'IA "meurt" en perdant à un jeu, c'est qu'elle a choisi de mourir ; faire descendre sa barre de vie dans le jeu n'aura aucune incidence sur elle, à moins que, disposant d'une conscience (ce qui est le cas), elle aime tellement jouer qu'elle décide que si on la vainc dans l'univers virtuel, elle sera battue. Et ça c'est jamais précisé, on sait tout au plus que l'IA "aime jouer".


Pour un petit supplément de Deus Ex Machina : comment est-ce que les personnages programment le fait que Love Machine va être enfermée dans plein de maisons ? Comment ils programment le fait de jouer aux cartes avec elle pour miser des comptes utilisateurs ? Je ne pense pas que les développeurs d'Oz aient pensé à inclure cette fonctionnalité...


"Alors le problème c'est juste des détails techniques ?"


Non. C'est un problème d'enjeux.


Quand je vois King Kazma se battre contre l'IA pour sauver le monde d'une catastrophe nucléaire, c'est joli mais j'en ai rien à foutre, parce que je sais que ce n'est pas battre une IA à un jeu qui va la détruire. De manière plus générale : je ne peux pas adhérer aux enjeux du film si je n'arrive pas à suspendre mon incrédulité à cause des incohérences.


Et ça me soûle vraiment parce que l'exécution du film est PARFAITE.


Genre, vraiment parfaite.


Déjà c'est une histoire jamais vue : un savant mélange entre une science-fiction high-tech et une chronique sur la vie d'une famille japonaise anciennement très puissante. Le film choisit très bien son nom : les "guerres de l'été" ce sont tous ces petits combats individuels menés en parallèles sous un été torride pourtant propice aux retrouvailles et au divertissement. D'un côté le conflit majeur dans le monde d'Oz qui est une sorte de Babel où tous les humains peuvent se retrouver pour s'amuser ensemble, et en même temps une caricature du monopole exercé par les entreprises développant les réseaux sociaux et groupant toutes les activités sur les mêmes plates-formes. De l'autre cette famille qui se réunit mais doit faire face à ses dissensions et la mort de l'arrière-grand mère qui se fait de plus en plus menaçante avec les chaleurs de l'été. Et puis cette équipe de base-ball désespérée de gagner la compétition et qui représente la tension grimpante au fur et à mesure du film, l'arrière-grand-mère qui fait face aux problèmes en motivant les troupes, les pompiers qui doivent sauver les habitants,


Ikezawa qui doit maîtriser parfaitement son King Kazma pour battre l'IA, Natsuki qui doit de même maîtriser parfaitement le Koi Koi, Wabisuke qui doit utiliser tout son talent d'informaticien pour contrer sa création, Kenji qui doit utiliser tout son talent en mathématique...


L'un des meilleurs films sur la portée de l'action individuelle, et un hymne à la solidarité face à l'adversité.


En plus de cette écriture intelligente, le rythme et la mise en scène ne sont pas en reste, comme toujours avec Hosoda : ce début avec un travelling avant pénétrant progressivement dans le splendide monde d'Oz qui met tout de suite dans l'ambiance, le dynamisme des scènes d'action qui contraste avec les longs plans fixes très immersifs et réalistes de l'intrigue familiale du film, et puis l'alternance entre virtuel et réel toujours très bien gérée ! Au début on a un long moment dans Oz, puis un long moment dans le réel, on ne sait pas où on va, on se dit "Mais qu'est-ce que c'est que ce film ? J'ai jamais vu ça ! Il me parle de monde virtuel puis de job d'été puis de maths puis d'ancienne famille japonaise...", un début mystérieux qui fait rentrer dans le film, et qui se termine lorsque les deux intrigues se réunissent, et dès ce moment-là le rythme est effréné, le métrage alterne avec virtuosité entre ses intrigues...


...et ses personnages ! Beaucoup de personnages (cf la scène de la présentation de la famille qui nous inonde de prénoms en même temps que le personnage, et pourtant on arrive à tous les individualiser par la suite...). Ils sont un peu clichés, mais pas des clichés qui en donnent une impression de déjà vu ; simplement des clichés qui aident à les mémoriser, et n'enlèvent rien à leur humanité, leur capacité à l'erreur et la remise en question (parce que le vrai défaut du cliché n'est pas le cliché, mais bien le fait d'avoir un personnage vide plus défini par un rôle qu'une personnalité).


Bref c'est débordant d'humour et d'intelligence, mais il y a CE défaut qui tue le film dans mon estime.


Summer Wars est une perle fissurée, néanmoins j'en conseille le visionnage pour toutes les bonnes choses qu'il a à offrir !

Naskor
6
Écrit par

Créée

le 2 août 2018

Critique lue 188 fois

1 j'aime

Naskor

Écrit par

Critique lue 188 fois

1

D'autres avis sur Summer Wars

Summer Wars
Hypérion
6

Déconseillé aux plus de 17 ans

Film de Mamoru Hosoda, réalisateur récemment découvert via Les Enfants Loups (criante déception), Summer Wars est d'un classicisme consommé dans son scénario et ses personnages, avec une cible bien...

le 6 sept. 2012

51 j'aime

18

Summer Wars
Dr_Chikenman
6

Critique de Summer Wars par Dr_Chikenman

Summer Wars. Un film sympatoche pour tout un tas de raisons, et à la fois crispant pour à peu près les mêmes raisons. Kenji, un jeune lycéen surdoué en mathématiques, prend pour job d'été avec l'un...

le 19 déc. 2010

41 j'aime

4

Summer Wars
SanFelice
8

Love Machine

En lisant quelques critiques par-ci par-là, je me suis rendu compte que ce film a été, au mieux, accepté avec réserves, voire même rejeté avec déception. ben moi, je l'ai bien aimé. J'ai passé 1h50...

le 12 févr. 2013

40 j'aime

8

Du même critique

Le Tombeau des lucioles
Naskor
9

Valar Morghulis

Takahata qui explique la guerre aux enfants. Qui rend tous ses symbolismes incroyablement clairs. Déjà par la quantité de plans mettant un point d'honneur à montrer le ciel, autant dans sa beauté...

le 1 oct. 2016

7 j'aime

4

La Vallée d'émeraude
Naskor
7

Orage ô désespoir

(Légers spoils) Le film démarre sur les chapeaux de roue. Ambiance sombre, graphisme très sympathique, arrachage d'oreille avec giclée de sang... Une sorte d'anti-Disney, quoi. Cette scène, si elle...

le 21 juin 2016

5 j'aime

2