(Légers spoils)
Le film démarre sur les chapeaux de roue. Ambiance sombre, graphisme très sympathique, arrachage d'oreille avec giclée de sang... Une sorte d'anti-Disney, quoi. Cette scène, si elle ne donne pas vraiment le ton du film, a eu le mérite de me faire questionner du début à la fin : si le film est capable d'être aussi sombre, aura-t-il une fin tragique ou une happy end ? Or c'est une question qu'on se pose beaucoup trop rarement devant les films pour enfants.


Ensuite vient la scène de la rencontre, dans l'obscurité, par une nuit d'orage, du loup, Gabu, et du chevreau, Mei (que les traducteurs ont appelés Kanouk et Jao pour une raison qui m'échappe). La mise en scène est intelligente, prenant soin de réunir à diverses reprises les deux personnages dans le cadre, malgré l'obscurité et la distance qui les séparent dans la cabane. La scène mêle quiproquo et ironie dramatique, en plus d'un dialogue simple mais intelligent, qui justifie totalement cette amitié naissante.


La suite est un peu plus mitigée. En fait, tout le deuxième acte est très inconstant en termes de niveau : les personnages secondaires sont vides, Mei est d'ailleurs relativement plat, certains dialogues sont niais au possible, et le parcours relativement similaire des personnages donne lieu à des scènes en miroir, qui se suivent en se ressemblant bien trop, là où un montage alterné aurait bien mieux fonctionné. Pourtant, j'ai été totalement happé par le film dans les scènes de discussions entre Gabu et Mei : voir leur relation évoluer, et surtout Gabu qui doit lutter contre sa tentation de manger le chevreau... D'ailleurs, le loup est bien plus développé que son compagnon, on sent chez lui de vrais enjeux psychologiques, et en plus il est le seul à véritablement régler les situations.


Du moins jusqu'au troisième acte : c'est alors que le film devient le plus intéressant, lorsque ces deux-là se soulèvent envers et contre tout pour rester ensemble, alors que leur vivre ensemble pose justement des dilemmes moraux ! La scène dans la grotte ensevelie sous la neige, même si je la voyais venir à trois kilomètres (comme la majorité du deuxième acte), m'a beaucoup ému et elle est faite de manière très intelligente, la mise en scène intimiste et les expressions des personnages sont parfaitement gérées. La suite qui y est donnée est inattendue, et le Deus Ex Machina, même s'il est un peu bâtard, est totalement logique.


Et puis vient le quatrième acte, c'est à dire cette dernière péripétie dans la forêt verte : là pour le coup je ne m'y serais jamais attendu, et pour une fois c'est à Mei de se sortir du pétrin sans l'aide de Gabu !
Malgré des maladresses (comment Mei a-t-il su pour l'avalanche ? et puis le petit bonheur la chance qu'un seul y ait survécu, sans spoiler...), la fin est sans doute la meilleure possible au vu du message.


Le message du film est bien entendu très classique (les apparences n'ont pas d'importance), mais il est étoffé par quelques éléments un peu plus intéressants. Déjà, le fait de présenter la vie en couple de deux mâles comme un accomplissement , là où la quasi-totalité des films pour enfants, et d'ailleurs la majorité du paysage culturel, présentent des relations purement hétéros. Ici, même si l'amourette entre les deux n'est jamais explicite, beaucoup d'éléments font croire à plus qu'une simple amitié (la première scène où Gabu est tenté de manger Mei, il mate son cul ! Et puis bon sans compter les dialogues hyper kawaii et les rougissements). Si plus de films faisaient ça, peut-êtres que nos chères têtes blondes seraient un peu moins tracassées par leur orientation sexuelle une fois l'âge venu... D'autre part, toute la question de l'alimentation, en plus d'être un pilier central de la dramaturgie, reflète le rapport ambigu des humains avec les animaux, qui les aiment autant vivants que dans leur assiette... D'ailleurs c'est assez surprenant que Gabu ne tente à aucun moment de devenir vegan, mais passons.


Pour parler du film en général, il a beau être inégal, je l'ai quand même beaucoup aimé, ayant été largement diverti et ému, même si certains resteront, je pense, assez indifférents à cette histoire parfois niaise et prévisible. S'il y a un élément qui m'a agacé tout du long, c'est la musique, qui est trop classique en plus de casser l'ambiance, donnant parfois des allures comiques à des scènes qui n'auraient pas dû l'être. D'ailleurs, le comique de manière générale n'est pas drôle dans ce film, en fait l'histoire aurait gagné à être moins légère. Les meilleures scènes sont celles où s'installe une ambiance, souvent sans musique d'ailleurs. Au niveau du graphisme, c'est généralement joli, mais les mouvements de caméra sentent le manque de budget, avec des mattes paintings animés et modèles 3D plutôt laids.


Pour finir sur l'histoire, elle aurait gagné à se donner un peu plus d'allures shakespiriennes, qui ne sont là que par petites touches (Obviously les loups et les chèvres qui sont comme les Montague et les Capulet, mais aussi la réplique "Pourquoi suis-je né loup ?" qui a des airs de "Romeo, why are thou Romeo" à la première personne). Le fait que les personnages secondaires soient creux fait qu'on ne sent aucun déchirement lorsque les deux personnages principaux décident d'abandonner leurs sociétés respectives. Dans le cas de Gabu, c'est justifié car c'est un paria, mais pour Mei ça l'est moins. D'ailleurs, la révélation de comment sa mère est morte arrive comme un cheveu sur la soupe, à un moment du film où ça ne peut plus rien changer à ce qui va se passer. S'il avait su ça depuis le début, la relation avec Gabu aurait peut-être été plus intéressante, et le traumatisme aurait évité au chevreau d'être un personnage quasi-unidimensionnel.


En bref, un film que j'ai adoré regarder malgré quelques passages à vide et pas mal de défauts : vu l'idée de base, on aurait pu avoir quelque chose de bien meilleur, mais je pense que le film mérite d'être vu et surtout montré aux enfants !

Naskor
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le 21 juin 2016

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Naskor

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