Avec sa manie irrépressible d’explorer les cinématographies multiples qui font la grande diversité du spectacle en salles obscures, Danny Boyle en vient à s’essayer au huis-clos spatial en s’associant – manie de rencontrer les écrivains qu’il adapte – avec Alex Garland au scénario, auteur de The Beach. Entre hommage à un genre précisément codé et libertés légères dans les exigences de tension dramatique, le cinéaste écossais tente de raccrocher un fond obsessionnel d’études des fonctionnements relationnels humains. À travers Sunshine, le réalisateur pose un regard discret sur



la désagrégation des systèmes de chair et de sentiments à l’approche de l’extinction solaire.



Inévitable signature d’ouverture : une voix-off claire nous invite au voyage dans l’espace, loin de la planète Terre, avec pour mission de régénérer le Soleil en créant, à l’aide d’une bombe thermonucléaire, une étoile à l’intérieur de l’astre mourant ; le tout sur de très beaux plans, léchés et lumineux, de l’étoile consumée au cœur de l’espace, jusque dedans le feu, pour nous emmener aux abords d’un long vaisseau fragile. Avec son aisance habituelle, Danny Boyle accompagne confortablement le spectateur aux portes du récit.
Formellement à l’aise dans tout ce qu’il touche, l’homme montre qu’il connait les codes narratifs des genres auxquels il se consacre. Et ne manque pas ici de citer habilement l’Alien de Ridley Scott lors d’une scène de repas et dans l’inspiration des décors intérieurs, jusque dans une partie du final aux accents claustrophobiques, et de faire de petites références graphiques à 2001, l’Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick ou au Solaris de Steven Soderbergh – je n’ai jamais vu celui d’Andreï Tarkovski.
Le scénario sait où il va et se développe pas à pas de manière assez fluide.


En s’immisçant au sein de ce petit groupe qui voyage avec détermination vers le soleil dans l’espoir de sauver l’humanité toute entière, Danny Boyle souligne



le changement d’échelle de la place de l’homme face à la nature,



son inextinguible soif de pouvoir sur celle-ci, de domination physique tangible des éléments. Dans le même temps, il prend soin de raconter ses personnages rapidement en se faisant témoin des tensions initiales d’un équipage en huis-clos depuis plusieurs mois déjà.
Bientôt une communication extérieure les dévie de leur mission première. Inévitablement c’est l’accident : sortie dans l’espace, autorité, culpabilité, et début des emmerdes, irrémédiables, définitives. Les tensions s’exacerbent doucement, les doutes naissent, la folie rayonne imperceptiblement. La caméra fluide, toujours en mouvement dans les extérieurs, laisse constamment apercevoir



l’imminence de la menace du feu solaire.



Alors plan b, à l’abordage du vaisseau abandonné d’où émanait le signal de détresse. Là le mystère continue de s’épaissir, le suspense de se tendre, et le cinéaste s’amuse de la frontière entre science-fiction et douce démence en convoquant un alarmant message divin, ardent avertissement hostile, une invitation sans détour à cesser de défier dieu.



Il y a de l’eau, de la nourriture… Pas d’équipage et pas de cadavre.



Un inconnu se glisse à bord. Le dénouement approche dans une tension extrême.
Il y aura quelques longueurs pour se frayer le chemin jusqu’à un final explosif – mise en scène explosive, montage cut quasi stroboscopique sur fond de la lourde musique electro d’Underworld, violent, intense, à la limite du clip expérimental, Danny Boyle style en force.


La photographie est propre.
Belle, par moments contemplative, souvent au plus près des visages. Pas toujours suffisamment sombre, notamment dans les intérieurs de la première partie, mais magnifique et par moments extrêmement graphique dans les extérieurs intenses et profonds de l’espace. Cet exercice de genre, comme tous les autres, a ses propres exigences scénaristiques et l’indispensable tension narrative aigüe à maintenir pour garder le spectateur en éveil ne laisse guère de place au développement psychologique auquel l’observateur des déraillements de l’âme humaine est habitué. Pas qu’il ne se soit pas attaché à faire évoluer ses personnages : les relations sont justes, les interactions vivantes. De Chris Evans et Cillian Murphy qui jouent l’antagonisme principal jusqu’à la présence massive de Hiroyuki Sanada ou la folie lentement dévorante de Cliff Curtis, en passant par Rose Byrne et Michelle Yeoh, le casting est à la hauteur des complexes caractères auxquels il prête vie, angoisse et émotions, et qui participent pleinement de l’intensité du récit.
Tout fonctionne mais laisse dans l’exploration humaine



une impression de survol solaire.



C’est le jeu.


Danny Boyle signe un huis-clos spatial d’excellente facture. Dans l’ensemble moins explosif, aux élans plus contemplatifs qu’à son habitude, Sunshine reste un film aux multiples intérêts malgré que le cinéaste, pour l’efficacité du récit, y néglige ce qui fait l’intelligence de son cinéma, son intérêt profond : l’étude acerbe et sans concession des comportements sociaux de l’homme dans des situations inhabituelles souvent extrêmes.
Paradoxalement, les systèmes solaires qui font ici le cœur du récit manquent de lumières.

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