La nouvelle pièce musicale sur laquelle dansent les jeunes femmes s’intitule « Wiederöffnen », comprenons « Rouvrir ». Le film de Luca Guadagnino est une réouverture : il propose, à partir d’un édifice de base qu’est Suspiria version Argento, de creuser des trous, d’ouvrir des fenêtres de sorte à y faire entrer une lumière nouvelle, à la fois historique, sociale, psychologique, culturelle. Tout cela se réverbère dans les miroirs et donne lieu à une impression de trop-plein, de saturation des effets et des sous-textes. Cette nouvelle mouture 2018 se présente comme l’opposée de son modèle ; nul hasard si le titre apparaît à la place d’un écriteau où se trouvait écrit « Ausgang », comprenons « sortie ». Nous entrons par la clausule du métrage de 1977, nous savons que l’institut est démoniaque et que la danse constitue un moyen de descendre dans les profondeurs humaines. Guadagnino cherche à métaphoriser la danse : acte de libération, acte d’émancipation qui occasionne un sevrage symbolique au terme duquel la danseuse devient sa propre mère, les pieds enracinés dans le sol, le corps raccordé à sa terre nourricière et satanique. Le masculin est humilié, accède ainsi à l’humus, à cette terre natale qui le réduit à sa simple fonction génitale. Le problème majeur que pose la relecture ici présente, c’est sa tendance à complexifier inutilement une intrigue censée capter l’aspect premier et primal d’un art reliant l’être à sa nature, aussi noire soit-elle. Ici le naturel que le film n’a de cesse de placer au cœur de son drame se voit écrasé par les enjeux du culturel : le mur de Berlin est posé là, le nazisme évoqué à tout bout de champ, le féminisme exacerbé avec cigarettes et corps féminins revendiqués. Il y a quelque chose de trop facile dans Suspiria, une démarche qui consiste à noyer le spectateur dans des flots d’images interrompues sans lui laisser l’occasion de projeter ses propres angoisses ; si clef il y a, elle est à demander au réalisateur, et cette position avilissante tend à tenir le spectateur à l’écart d’un cauchemar qui n’est pas le sien. Trop long, trop inutilement alambiqué là où le sujet exigeait, au contraire, une fluidité naturelle (qu’Argento restituait avec délice), Suspiria cuvée 2018 laisse en bouche un léger goût d’amertume malgré une réalisation fort intéressante et quelques scènes efficaces.

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le 8 avr. 2019

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