C'est le vieux souvenir de ce film que je chronique à présent. En réalité, je pense que je serais incapable de le revoir aujourd'hui, tant ce long métrage suinte dans ma mémoire de cruauté, de mesquinerie, de haine plus ou moins ordinaire, mais aussi d'une tristesse insondable.
Bien sûr, il y a de l'humour pour faire passer la pilule. De l'humour noir, bien entendu. Comment faire autrement ? Et à la première vision, ainsi qu'aux deux suivantes, du haut de ma sage adolescence se réjouissant à affronter l'interdit et la transgression, j'ai ri. Moins que devant La Vie est un long fleuve tranquille, certes, et d'une manière différente. Mais j'ai ri, oui.
Ri de voir Tsilla Chelton (exceptionnelle dans le terrifiant rôle-titre) accumuler les vacheries et les marmonnements méchants, avec une jubilation manifeste.
Ri de la voir abandonner un gamin en plein milieu d'une ville, et se réjouir qu'il soit retrouvé traumatisé et en larmes.
Ri de l'écouter aligner les scud contre sa famille, sa vieille aide ménagère, puis contre la petite nouvelle, qu'elle entendait bien dompter comme tous les autres.
Ri, encore, de voir la petite nouvelle en question (Isabelle Nanty, révélation pour moi à l'époque, comme pour beaucoup de spectateurs sans doute) se rebiffer, se rebeller, et s'évertuer à bousculer les moches habitudes de sa cliente poussant la mégèritude à des altitudes insoupçonnables.
J'ai frémi, aussi, devant le spectacle effroyable de la cruauté. Et c'est ce qu'il me reste le plus, aujourd'hui, alors que le ressort du rire s'est émoussé au fil des visionnages, et qu'il ne reste plus que le propos, le véritable propos du film, mis à nu sans aucune pudeur.
C'est le tableau d'une solitude si violente qu'elle pousse à la destruction, la sienne à travers celle des autres. (Le traitement que dame Danielle inflige à sa vieille dame de compagnie au début du film, et la conclusion inévitable du dit traitement, sont d'une violence insupportable.)
C'est un portrait de la haine ordinaire, une exposition sans fard du harcèlement moral, avant que l'expression se fasse une place de choix dans les manuels de sociologie et les procès aux prudhommes intentés par des employés démolis par leurs patrons.
Avec le recul, demeure aussi l'idée d'une recette, élaborée par Chatiliez, qui est celle de son cinéma : la méchanceté, gratuite si possible, comme moteur de l'humour. Une méchanceté mise au service d'un regard intraitable sur la société, avec plus ou moins de bonheur - sauf quand il part traquer le dit bonheur dans le pré, remisant la méchanceté au second plan au profit d'une humanité peut-être un peu cliché, mais revigorante dans son travail créatif.
Avec Tatie Danielle, le réalisateur a sans doute poussé le concept le plus loin possible, outrepassant toutes les frontières avec insolence, et ne reculant devant aucune indélicatesse.
De ce jeu de massacre organisé avec un art certain du bain de sang psychologique, me reste tout de même aussi l'image bouleversante d'une vieille femme plongée au fin fond de sa solitude et de son désespoir existentiel, se mettant à nu, en larmes, devant son miroir, pour observer en face sa déchéance.
Un instant de grâce sombre, d'une sincérité absolue, qui fait de Tatie Danielle autre chose qu'un petit théâtre du mal.