Même prévenus, on a bien un petit peu de mal au début à entrer dans l’histoire incroyable qui sert de déclencheur : un échange de bébés à la maternité mais qui ne sera découvert que cinq ou six ans plus tard, tout à fait par hasard.
C’est le drame : les deux familles se sont déjà approprié leurs “faux” enfants. Certes on sait bien que ça existe de temps en temps et pour de vrai, mais le départ est raide.
Une fois la mise en place effectuée et ce présupposé accepté, Hirokazu nous embarque pour une analyse précise, complète et minutieuse des sentiments engendrés par l’onde de choc qui va traverser tout ce petit monde.
À gauche sur la photo, la famille Nonomiya : père architecte, mère au foyer et fils unique. Le père est un accro au boulot et à la réussite sociale, quitte à sacrifier femme, enfant et vie de famille. Berline haut de gamme, appartement haut de gamme dans une haute tour. Le japonais type, exactement tel qu’il est fantasmé par les occidentaux.
À droite, la famille Saiki : père bricoleur, mère en CDD et trois enfants (pas tous sur la photo). Petite camionnette japonaise et petite maison mal foutue dans une petite rue de banlieue.
Bien sûr, on se dit un peu que la vie au Japon n’est pas non plus un long fleuve tranquille, mais la comparaison avec les familles Groseille et Le Quesnoy tourne court : ce qui intéresse Hirokazu n’est pas tant la différence de classe sociale (on parle bien un peu d’argent, mais ce n’est pas le thème central) que la différence d’humanité et d’amour qui baigne les deux familles.
D’un côté, l’appartement des Nonomiya est aussi bien rangé que leur vie, un appart aussi froid et impersonnel qu’une suite d’hôtel. De l’autre, la vie de la famille Saiki est gentiment bordélique et l’on y prend le bain tous ensemble.
Tout cela nous est détaillé peu à peu et par le menu : les discussions entre les deux familles, puis avec la maternité fautive, le procès, les indemnités, l’instinct maternel, la filiation par le sang ou par l’éducation, … en évitant assez adroitement les différents écueils : ni mélo, ni sentence philosophique, ni caricature facile.
Tous les acteurs, des deux familles, sonnent on ne peut plus juste. C’est vraiment remarquable.
Le personnage clé est Ryota, le père Nonomiya : accro au boulot et à l’ascenseur social on l’a dit. Il pousse son “fils” dans une école privée, lui fait jouer du piano, … La pression !
Peu à peu, on devine que Ryota a souffert et souffre encore lui-même de relations difficiles avec son propre père.
Tel père, tel fils … C’est bien le titre et le sens de ce film sur l’amour filial.
Ce qui intéresse Kore-Eda Hirokazu (et le spectateur) n’est pas la description facile de ces deux familles que tout oppose mais plutôt le chemin qui sera parcouru par chacun d’eux (et le spectateur) tout au long du film.
Pour revenir au précédent coup de cœur indien (The lunchbox), on remarquera quelques échos entre les deux films : la maîtrise totale des acteurs et des sentiments exprimés, la découverte passionnante du quotidien de ces lointains voisins (en Inde et au Japon), le questionnement de notre humanité.
Le parallèle s’arrête là : Tel père, tel fils est un film sérieux, grave et appliqué. C’est juste peut-être ce qui nous retient d’en faire un coup de cœur. Une belle leçon de cinéma et d’humanité comme les asiatiques savent si bien nous en donner.
BMR
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le 29 sept. 2014

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