En 1950, les cinémas japonais avaient pris le parti d'expliquer l'intrigue aux spectateurs allant voir Rashōmon d'Akira Kurosawa (Les 7 samouraïs, Ran, Kagemusha) pour éviter les plaintes en sortie de séances. Le film tournant autour de plusieurs personnes décrivant, chacun avec un point de vue différent, le même événement. Rebelote, Matrix en 1999 a vu la multiplication d'articles expliquant les ressorts de son scénario retors pour l'époque. Aujourd'hui un enfant de 8 ans a de bonnes chances de comprendre ces deux films tellement les mécaniques qu'ils présentent sont connues et récupérées dans la pop culture. Deux exemples comme des gouttes dans un océan de cas similaires...


Avec ses ellipses, flashbacks et dialogues parfois sibyllins, il n'y a rien d'étonnant à ce que Tenet divise à sa sortie. Abscon-nerie filmée comme une pub de yacht magazine pour certains spectateurs quand le veinard y verra une histoire superbement construite, j'oserais dire limpide car tout se recoupe ou s'explique, autour d'une idée twistant le concept de voyage temporel (j'irais pas plus loin dans le spoil, et encore ça me prendrait 3 pages pour commencer à être compris).


A ceux qui imaginent que Tenet est un cousin de James Bond, voyez-le plutôt comme un frère de professeur Layton - avec des flingues. Le film se pose à bien des égards en anti-James Bond. Là ou la saga 007 n'est composée que des mêmes éléments (Walther PPK, Aston Martin, martini, James Bond Girl, musique, gadgets, Q, M, Moneypenny, etc) qui se répètent dans des films aux rebondissements connus d'avance, Tenet va au contraire faire peau neuve toutes les demi-heures ou presque. Ne posant des bases dans les lieux communs du film d'espionnage ou de SF que dans le but de les transformer en quelque chose de nouveau et twister ses propres concepts. Tenet serait comme une énigme dont on pense à la résolution avoir compris les principes la régissant uniquement pour se rendre compte qu'elle n'était qu'une infime partie d'un problème plus complexe, plus grand, et surtout plus passionnant.


Dans l'esprit des Nolan hors Batman, Inception et Memento en tête, Tenet repose sur un concept fort autour de l'idée de l'écoulement du temps, concept se traduisant ici par des idées de cinéma dantesques. Si certains diront encore que ça fait jeux vidéo (comprendre : des types qui courent avec des mitraillettes dans des plans d'ensemble), il faut surtout en profiter pour y voir l'utilisation très maligne d'un truc vieux comme le monde : la fonction rembobiner. Au diapason de la musique que le film n'hésite pas à passer à l'envers pour appuyer son sujet pouvant assez littéralement recevoir le qualificatif de renversant.


Seul point négatif éventuel et surtout assumé, car on ne peut pas tout faire rentrer dans 150 minutes de film, Tenet a des personnages qui gravitent autour de son idée phare et non l'inverse. L'écriture de nos héros est un peu faible. Pas de grande crise existentielle en vue comme celles que traversent DiCaprio dans Inception ou McConaughey et Chastain dans Interstellar. John David Washington, bien que rapidement attachant avec ses reparties cinglantes, est sympathique mais pas mémorable, à l'image du reste des personnages. Un choix toutefois pardonné car si le scénario est pauvre sur son aspect humain, il est milliardaire en idées, blindé de détails, taillé pour le revisionnage.


Afficionados de films d'action à tiroirs où chaque élément compte, pas perdu entre deux cuts et capables d'accepter de ne voir qu'un bout d'une grande histoire (mais quel bout !), alors foncez vous jeter sur ce cadeau du ciel. Pour le reste, essayez quand même, si vous Tenet bon, il y a un trésor au bout de cette pellicule.


Pour prouver que ça se comprend bien j'ai aussi écrit une explication. Désolé pour le lien mais sinon la critique fait 8 pages : https://cinematogrill.fr/tenet-les-clefs-pour-comprendre/

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le 28 août 2020

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