Au festival de Cannes, on maîtrise rarement l’art de la durée. Pourtant, quelques soient les sélections, c’est sur la durée que les metteurs en scène travaillent. Probablement « le montage interdit » d’André Bazin est-il une convention tacite du chef-d’œuvre. Les séquences s’étendent plus que de raison, on se refuse à découper des scènes dialoguées, on réalise de grandes prouesses de mouvement ou de plan fixe. Mais la plupart des réalisateurs semblent tellement obsédés par la durée, qu’ils oublient qu’un plan ne signifie quelque chose que si sa durée est juste. L’écueil éternel du cinéma à Cannes, c’est l’ennui chez le spectateur, et la pose à l’image. Par conséquent, beaucoup de réalisateurs sont moins des metteurs en scène que des stylistes pompeux (Gaspar Noé).
L’un des seuls mérites du palmarès de ce 68ème festival de Cannes est d’avoir attribué le prix de la mise en scène à Hou-Hsiao Hsien. Contrairement à la plupart des prix, dont on oublie jusqu’au nom tant ils ne correspondent en rien aux films auxquels ils ont été attribués, le prix de la mise en scène doit désigner une réalisation non seulement singulière, mais également pleine de justesse. En l’occurrence, ce prix n’a pas récompensé la virtuosité d’Hou-Hsiao Hsien, mais bien au contraire son humilité.
Il y a quelque chose dans l’iconographie chinoise de l’ordre de l’esquisse, du pas-tout-à-fait dessiné, mais absolument visible. Pensons aux dessins à l’encre de chine, renonçant aux histoires pour un décor, sacrifiant la minutie du détail au profit de vibrations sensibles. C’est cet art-là qui est en jeu dans The Assassin. Un contexte déposé sur les plus vastes contrées du monde, une guerre de clans terrible, mettant en péril des familles entières. Autour, des paysages imposants, monts, vallées, rivières, forêts de bouleaux, où marche silencieusement un assassin. L’évolution de la guerre ne se dévoile que par quelques conversations, pleines d’hésitations, de silence, de colère calme. Mais cette histoire est mise en retrait, tout au fond d’un décor dans lequel les cavaliers et les rois ne sont que des points perdus dans des étendues sans fin.
L’histoire est si ténue, si peu donnée au spectateur, qu’elle devient elle-même un aspect du décor, un moment de l’histoire des hommes confondue avec l’éternelle histoire du monde. L’ouverture du film en noir et blanc constitue l’accord le plus prégnant entre les hommes et la nature. L’assassin est envoyé tuer un homme dans un cortège, il traverse des bois en courant, et passe comme un éclair tranchant la gorge d’un homme. Ce sera le seul meurtre du film.

Le titre du film dans une calligraphie de sang s’élève au-dessus d’un étang brûlé par le crépuscule, accompagné d’un « gong » de tambour qui donnera son rythme lancinant au film. Et sous ce rythme, cet invariable assassin qui traverse le pays avec la discrétion du vent.


Les longues ballades mènent le spectateur à une quasi hypnose, proche du sommeil, avant de le réveiller brutalement par une danse folle ou un combat d’épée grandiose. Chaque fois, le basculement narratif auquel peuvent mener ces scènes est contrarié, elles n’amènent rien qu’une portée supplémentaire à la partition du film. Cette rengaine, Hou-Hsiao Hsien l’a composée avec une justesse absolue, donnant à son film un timbre uni et parfait.

Rozbaum
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Films vus 2015

Créée

le 29 mai 2015

Critique lue 686 fois

11 j'aime

2 commentaires

Rozbaum

Écrit par

Critique lue 686 fois

11
2

D'autres avis sur The Assassin

The Assassin
Velvetman
9

La veuve noire et l'oiseau bleu

Dans sa volonté de magnifier son image à l’extrême, Hsiao Hsien détient cette force de ne jamais forcer le verrou de la caricature : il ne construit pas ses plans pour qu’ils soient beaux, mais pour...

le 24 févr. 2016

101 j'aime

16

The Assassin
Sergent_Pepper
7

L’étrange douleur des lames de ton cœur

Qui connait un tant soit peu Hou Hsiao-Hsien saurait à quoi s’attendre : The Assassin est certes un film historique s’aventurant sur les terres très codifiées du wu xia pian, il n’en reste pas moins...

le 3 avr. 2016

88 j'aime

2

The Assassin
Vivienn
9

La Femme des sabres

Fier d’être devenu plus rare qu’un Stanley Kubrick (The Assassin est seulement son troisième long-métrage en dix ans), Hou Hsiao-Hsien est un auteur qui a su se cultiver une aura certaine auprès de...

le 15 mars 2016

63 j'aime

3

Du même critique

Conte d'hiver
Rozbaum
10

Critique de Conte d'hiver par Rozbaum

Voir ce film, si on le voit sous l'angle de tout ce qu'il veut nous donner, c'est faire naître dans sa gorge un flot incessant de paroles, si bien que, le regardant avec quelqu'un d'autre, il faut...

le 4 mars 2012

52 j'aime

8

Sombre
Rozbaum
1

Critique de Sombre par Rozbaum

En vérité, si j'écris cette critique, ce n'est que pour tenter de justifier la brutalité de ma note. Ce film, je le hais, je le déteste de tout mon être, mais pour des raisons autrement plus nobles,...

le 30 déc. 2012

50 j'aime

3

Kafka sur le rivage
Rozbaum
9

Critique de Kafka sur le rivage par Rozbaum

Si on peut reprocher à Kafka sur le rivage le peu de relief de ses personnages, son apport culturel assez fade, ses réflexions un peu simplistes et sa cohérence douteuse, il serait idiot de lui...

le 15 avr. 2012

48 j'aime

4