"Are you guys in on this ?... This is so inappropriate..." Dit Tilda Swinton à 2 cadavres qui se réveillent. Et c'est un peu ce sentiment de "on-est-en-train-de-me-faire-une-blague-de-moyen-goût" qu'on ressent de manière générale face à ce film.


Jim Jarmush se livre ici à un exercice très particulier : il fait un film sur-référencé et pourtant c'est un film "100% sans ironie" ni second degré. Et c'est là pour moi la grande force du film: S'il n'y a pas d'ironie, tout doit être pris au premier degré. DEAD SERIOUS. "Why so serious ?" me retorquerez-vous alors.


Et bien, c'est parce que Jim veut nous dire des choses, certaines pas subtiles du tout (la planète est foutue & on nous ment sur les priorités à avoir) et d'autres plus subtiles: nous sommes déjà des morts-vivants, on a déjà perdu. Et ce, malgré tous nos "efforts" pour trier, arrêter de prendre l'avion, etc... Il est déjà trop tard.
Et pour que tout ça marche dans le film, Jim adopte la stratégie du "trop gros pour être vrai", un peu à l'image du "trop beau pour être vrai".


Qu'est-ce qui dans le film est alors "trop gros pour être vrai"? (méga spoilers)


On a un pitch digne des plus grands nanars (on est vraiment pas loin de Plan 9 from Outer Space), toutes les références à la pop culture sont trop évidentes (Star Wars ? "de l'excellente fiction", Aimer Nosferatu, Pyschose et les films de Romero ? C'est avoir du bon goût ! Ben tiens, ce ne sont que les films qui ont le plus influencé le cinéma d'horreur classique. On a aussi des acteurs qui jouent a minima, qui se répètent, et font des déclarations évidentes à foison (discours sur le consumérisme, plusieurs résumés du pitch du film) et des rôles caricaturaux parfaits (Séléna Gomez en pseudo final girl, Bill Murray en flic qui aurait du partir à la retraite, Adam Driver qui n'arrête pas de dire "Ca va mal finir cette histoire")


Là où Jarmush fait une pirouette virtuose, c'est qu'il arrive à passer du "trop gros pour être vrai" au "trop gros pour être vrai qui doit pourtant être cru". Pourquoi ça marche ? Parce que Jim Jarmush mêle habillement des clichés nanardesques avec des choses directement issue de "notre réalité" de spectateur:


Re-mega spoilers:


On se retrouve avec des zombies méga-connus (Iggy Pop et la femme de Jarmush) qui mangent les employés d'un diner, Tilda Swinton en véritable extraterrestre (la blague qui tourne depuis pas mal de temps, faut bien le dire), des références de pop culture qui nous sortent du récit: une blonde avec un katana ? Un agent des forces de l'ordre qui boit le meilleur café du monde à un diner ? A côté de ça, on fait la promotion de la BO du film de manière putassière et outrée, et on casse le 4ème mur: on a lu le script (mais pas tous la même version), on discute de la relation entre Bill Murray et Jim Jarmush...


Tout ça amène le spectateur à réfléchir à sa situation: si l'on met sur le même plan une discussion sur ce que pense Bill de Jim, une blague sur Tilda Swinton et le polar fracking qui fait renaître les morts, alors qu'est-ce qu'on nous, les spectateurs, ne voyons pas dans notre réalité, qui est à la fois "trop gros pour être vrai et qui pourtant devrait être évident ?
(Note: on pourrait faire le même argument sur la photographie du film: tout est évident, clair, montré sans fioriture ni manipulation: la séquence de découvertes des cadavres du Diner est magique à cet égard)


Alors, qu'est-ce que nous, les spectateurs, on ne voit pas dans notre réalité qui est à la fois "trop gros pour être vrai" et qui pourtant devrait être évident ?


On est tous Bruce Willis à la fin de 6ème sens: RAIDES (RAIDES ? OUAIS, RAIDES)
Pour répondre à cette question, il faut revenir sur un autre phénomène étrange : on ne s'attache aux relations entre les personnages qu'à partir du moment qu'ils sont morts ou mourants


Re-re-Méga spoilers


La relation de Cliff aux zombies est très particulière: il se sent finalement plus proche d'eux que de beaucoup de vivants. La scène avec les enfants zombies est assez révélatrice: c'est d'ailleurs la seule scène avec des enfants qui ne portent pas de masque du film... et Cliff les reconnait. De même, le seul moment où Cliff s'ouvre aux habitants de la ville, c'est quand il les décapitent, un par un, lors d'une séquence de tuerie. une séquence qui fait pourtant tout pour que la relation ne soit pas personnelle: il fait nuit, c'est une horde de zombie. Mais non, chaque zombie est identifié, et on taille le bout de gras avec avant de lui faire exploser la cervelle.
Vient ensuite l'utilisation d'un cliché du genre: le zombie gravite autour de ce qu'il aimait faire dans la vie. Et c'est brillant ici: en un mot "Wi-fi", "Zanax", "Chardonnay" ("Did she just say Chardonnay?"), on nous peint rapidement des obsessions qu'on connaît, qu'on partage...


La relation aux morts est donc beaucoup plus profonde que celles aux vivants dans le film (Cliff & Ronnie sont apathiques, Mindy craque complètement, Séléna Gomez est un cliché de final girl). Tout est soit plat soit uni-dimensionnel (Steve Buscemi et son MAWA hat). Ce n'est qu'avec les morts qu'on a de la nuance. Et donc qu'on s'identifie (malgré les pratiques alimentaires). Donc ce que nous dit Jim est dans le fond assez déprimant: les seules vraies relations ne sont pas ici avec les vivants, mais bien avec les morts-vivants... Morts-vivants qui sont obsédés par "nos" obsessions: consommer, avoir du wifi, se construire une identité personnelle au travers de la même pop culture...


C'est donc nous, les morts-vivants. Nous sommes déjà morts, et nous ne le savons même pas.


Avec The Dead Don't Die, Jim Jarmush nous livre une oeuvre faussement cinéphile, vraiment politique et étrangement drôle.

Draiv
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 19 mai 2019

Critique lue 216 fois

1 j'aime

Draiv

Écrit par

Critique lue 216 fois

1

D'autres avis sur The Dead Don't Die

The Dead Don't Die
mymp
3

The boring dead

Après les vampires, les morts-vivants donc. Jim Jarmusch continue à revisiter genres et mythes populaires avec sa nonchalance habituelle, mais la magie ne prend plus, soudain elle manque, soudain il...

Par

le 15 mai 2019

83 j'aime

The Dead Don't Die
EricDebarnot
3

It's a fucked up film !

Il est difficile de rester impavide, quand on est un fan de Jim Jarmusch depuis ses premiers films, devant la véritable catastrophe industrielle que représente ce "The Dead Don't Die", qui constitue...

le 27 mai 2019

58 j'aime

15

The Dead Don't Die
Velvetman
6

ZombieLand

Le Festival de Cannes 2019 vient officiellement d’ouvrir ses portes. Et pour commencer, il nous offre sur un plateau le nouveau film de Jim Jarmusch, The Dead Don’t Die. Un film de zombies où le...

le 16 mai 2019

57 j'aime

1

Du même critique

Ne coupez pas !
Draiv
7

Oh, attention chérie, ça va couper !

Avec "One cut of the dead", on a le beurre, l'argent du beurre, et le reste. Le film se paie le luxe d'être à la fois une réflexion intelligente sur le rapport à l'image, une comédie vraiment drôle,...

le 21 févr. 2019

8 j'aime

Benni
Draiv
8

Mutti

Au premier abord, le film fait pas mal penser au superbe "Mommy" de Xavier Dolan: on y suit les déboires d'une enfant sujette à de graves troubles du comportement, laissant la plupart des adultes...

le 14 févr. 2019

7 j'aime

7

Jack Ryan
Draiv
2

Jack Attack : First blood, part II

(Avis principalement sur la saison 2) Après une première saison pas ouf mais pas dégueu non plus, Jack Ryan revient pour un second round. Si John Krasinski est toujours aussi charismatique et passe...

le 30 nov. 2019

4 j'aime