Un film de zombies tourné en totale dérision

Jim Jarmusch ouvre le festival de Cannes 2019 sur un film de genre revisité ; The Dead Don’t Die. 
Pour ce film de zombies, ni effusion d'hémoglobine ou cris agonisants, juste un flic las (incarné par le désenchanté Bill Murray) et son collègue l’indélicat Ronald Peterson (Adam Driver), quelque peu pessimiste et détaché, qui se retrouvent face à des morts qui ne veulent pas mourir.
Dans la ville de Centerville qui est une « really nice place » comme l’indique la pancarte de bienvenue, les policiers subissent leur quotidien plus qu’ils ne le vivent. Outre la disparition d’un poulet et le soleil qui ne veut pas se coucher, rien d’alarmant dans cette bourgade du fin fond du midwest, où le fermier à la casquette imprimée « make America white again » boit tranquillement son café à côté d’un habitant noir, pas vraiment surpris.
Sur fond de musique country qui semble très familière au chef Robertson
- ah bah oui c’est la musique du film - le duo Murray/Driver se balade dans Centerville, attendant qu’une chose (enfin) bizarre se produise.
 Etonnement on le sait « tout ça va mal se terminer » comme n’arrête pas de répéter l’agent Peterson. Mais on apprécie la balade, totalement absurde de ce film réellement décalé.

Pourtant, c’est dans un calme olympien que les agents Robertson et Peterson découvrent les cadavres de deux employées du seul dinner de la ville, déchiquetés comme si quelqu’un - ou quelque chose - avait voulu y goûter. 
Ronald Peterson le sait, le sent, seuls des zombies ont pu faire ça. A cette révélation, son collègue et chef blasé semble déjà fatigué de ce qu’il va advenir ;
« Bon…Comment on tue un zombie ? ».

Les dialogues baignent dans le second degré plus que dans le sang, offrant des scènes d’humour subtil. Car, lorsqu’Adam Driver tue son premier zombie, presque impatient de s’initier à la pratique, nul n’est choqué ou traumatisé (sauf peut-être l’agente Morrison, qui s’émouvra assez pour rattraper l’insensibilité de ses deux collègues). Non, le chef Cliff Robertson est même impressionné ! « C’était un beau geste technique ! ». 
Les zombies, loin d’être effrayants surtout lorsque Iggy Pop en incarne un, deviennent une grossière métaphore de notre société de consommation. Message certes non révolutionnaire mais qui approfondit quelque peu ces morts-vivants, ne cessant de répéter la chose qui a marqué leur vie comme « café » ou encore « chardonnay ».
 Entre les références geeks et politiques, Jim Jarmusch décrit à la fois un « monde parfait » et « un monde de merde », où comme des zombies, les gens n’ont plus d’âme et cherchent sans comprendre, presque instinctivement, à avoir toujours plus. Le fond n'est pas très profond, mais la forme est divertissante.
Cependant, l’engagement du film n’est pas central, le réalisateur habitué de la contemplation se laisse aller à un film aux tons légers et insensés, comme le montre le personnage de Tilda Swinton, décrite par le chef Robertson sous son regard ébahi, comme étonnamment singulière.

Mais une fois de plus rien d’étonnant puisque l’Agent Peterson le dit depuis le début « je te dis que ça va mal finir ! ». The Dead Don’t Die brise les codes en brisant le quatrième mur, car le Chef Robertson à bout, finit par poser la question : « mais comment tu sais que ça va mal finir ?».
C’est pourtant évident, « je le sais car j’ai lu le script, Jim me l’a donné ». 
Et même si ce film ne s’inscrit pas dans les chefs-d’oeuvre de Jim Jarmusch, celui-ci continue à détourner les codes du genre cinématographique, d’une manière plus accessible certes, mais sans pour autant tomber dans un cinéma grand public.

Alors oui, la fin de The Dead Don’t Die est farfelue, mais c’est aussi l’esprit unique et dérangé de Jim Jarmusch que l’on veut voir exploser sur nos écrans en tournant le genre apocalypse zombie en totale dérision.

katell-lm
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le 24 sept. 2019

Critique lue 177 fois

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