Sean Baker prend le parti de filmer un sujet pourtant très 'larryclarkesque' ou 'kenloachien' (une mère sans argent élevant son enfant seule) à la manière d'un conte, ou même d'un western.


Là où il aurait pu utiliser une caméra 'documentaire' et des plans réalistes-minimalistes (laids) à l’épaule, il compose plutôt des cadres majestueux. À plusieurs reprises, il pose simplement une caméra fixe à bonne distance des personnages, ces derniers étants alors perdus dans les plans, presque écrasés mais également magnifiés par ce qui les entoure, constant rappel de leur statut social.
L'histoire est celle de ceux qui, tout en vivant presque à Disneyworld, n'y auront jamais accès ; de tous ceux qui vivent aux portes du faste en se demandant chaque semaine s'ils pourront payer leur loyer ; celle d'un combat entre une mère et le reste du monde pour que sa fille grandisse dans l'insouciance. Le combat de Halley, une jeune mère, contre les injonctions d’une société auxquelles elle ne s’est jamais soumise et dont elle veut préserver sa fille, Moonee.


Baker présente les événements du ‘point de vue’ - sans pour autant que cela soit un film à la première personne - de Moonee, huit ans. Si elle n’est pas forcément le personnage principal, elle est au moins le sujet du film, et c’est à travers sa perception du monde qui l’entoure que l’histoire est contée. Ainsi, tout est fait de (plus ou moins grosses) bêtises, éclats de rire et couleurs pastel. Le temps ne semble pas avoir de prise sur Moonee, tandis que, progressivement, le spectateur en vient à redouter une rupture, un inévitable retour à la réalité. Si The Florida Project est un songe ; chacun le sait, un rêve n'en est pas un s'il n'est pas suivi par un retour à la réalité. Le film impose ce réveil avec justesse, en instaurant une sorte de double conclusion à la fois terrible (rédhibitoire) et bienveillante (puisqu'ouverte sur une autre fuite) ; qui lui permet, justement, d'éviter toute morale.


Plus encore que les interprètes de la jeune mère et sa fille (Bria Vinaite et Brooklynn Prince), on retiendra Willem Dafoe, et l'excellence de l'interprétation de son personnage de manager qui illumine l'oeuvre. Toujours dans un délicat équilibre entre coercition et délicatesse, il plane littéralement à travers le film, n’est jamais loin de l’action s’il ne la provoque, tour à tour ange gardien et questeur. Dans une séquence intense, quasi irréelle, il protège des enfants dont il n’est pourtant pas responsable d’un intrus - jamais nommé, mais l’imagerie s’en occupera - sans que personne ne le remercie ou n’en soit même témoin. Simplement, il est la preuve que la lutte d'Halley n'est pas aussi manichéenne que ce qu'elle voudrait nous faire croire.


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le 19 déc. 2017

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