Les univers de Wes Anderson ont le charme désuet d’une odeur de vieux papier que l’on respire lorsqu’on glisse le nez dans la bibliothèque de ses grands-parents. Ce charme qui parvient, malgré vous, à vous convaincre que, décidément, le monde était mieux avant. Qu’il était plus doux, plus humain et surtout, beaucoup plus heureux. Les univers de Wes Anderson sont nostalgiques, d’une nostalgie assumée et même revendiquée, mais sans aucun rejet pour son époque, juste par l’amour affiché pour une époque révolue moins superficielle, où la profondeur des sentiments régnait encore en maitresse. The Grand Budapest Hotel est aujourd’hui son film qui joue le plus cette carte d’un passé fantasmé et regretté.
Peut-être est-ce grâce à cette histoire d’hôtel au succès déclinant, au destin miné par les rides d’une vieillesse qu’aucun travaux de rénovation ne sont venus effacer et à l’avenir compromis par une guerre qui refuse de se dévoiler. Ce film est l’histoire de Zero Mustafa, jeune garçon embauché comme lobby boy au Grand Budapest et pris sous son aile par le concierge, M. Gustave. Ce film est l’ascension, plus ou moins cahoteuse, de ce jeune homme, à travers l’hôtel, à travers la guerre et à travers les amours de son mentor. De ce passage d’une admiration réservée pour les manières étonnantes de ce dernier, à une complicité à peine voilée lorsqu’il lui suggère de voler le tableau. Ce film est enfin l’histoire d’un écrivain, écoutant l’histoire d’un M. Mustafa vieillissant, fasciné par ce destin hors du commun d’un homme parti du rez-de-chaussée pour gagner ensuite les plus hauts étages.
Wes Anderson semble faire appel parfois à l’indulgence de l’enfance, lorsqu’il déploie ses superbes décors de maison de poupée, aux charmes surannés pleins de tendresse. Couleurs chatoyantes, architectures démodées, mises en scènes improbables, il démontre une maitrise absolue d’un univers qu’il ne partage avec aucun autre réalisateur. Plus les films passent, plus cet univers s’affirme, repoussant toujours plus loin ce que représentait le film précédent. Si chaque œuvre semble être un aboutissement, la suivante va toujours plus loin. Pourtant, même si on peut souhaiter qu’il aille encore plus loin, The Grand Budapest Hotel, semble être le film d’un auteur affirmé, à l’élocution visuelle limpide. On sent que chaque plan émane d’une idée claire de son auteur et y correspond parfaitement.
Sans doute cette maitrise totale a-t-elle contribué à lui attirer les bonnes grâces d’autant de grands acteurs et actrices. Car la liste des étoiles de ce casting semble infinie et réduit, par voix de conséquence, la présence de certains à l’anecdotique. Ceux que l’on voit le plus sont évidemment formidables, du prometteur Toni Revolori, en passant par le trop rare Ralph Fiennes, jusqu’au toujours savoureux Jeff Goldblum. Au-dessus, narrant son histoire, la « gueule » du charismatique F. Murray Abraham. Mais tous les autres, qui qu’ils soient, gravitent autour du noyau et apportent leur touche de perfection.
Peut-être l’affiche du film est-elle un excellent avant-propos au Grand Budapest Hotel, on y retrouve cette nostalgie pour le rose à carreaux vichy, pour des temps qui semblaient innocents, pour ces années folles qui embrasèrent les esprits au sortir de la Grande Guerre. Une période où chacun voulait être heureux, où le refus du malheur était un leitmotiv et devenait presque une hygiène de vie. Wes Anderson fait de cet hôtel le réceptacle de son univers à mi-chemin du rêve, en décalage avec une réalité qui serait trop crue, froide et brutal. Wes Anderson rassure et réchauffe, créant des enclaves d’innocence et de douce loufoquerie au sein de la vérité humaine de nos sociétés.
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