Je ne sais pas s'il est bien utile de rajouter quelques lignes aux centaines de critiques déjà référencées ici, mais, pour mon plaisir égoïste et pour faire travailler ma mémoire, quelques notes :
- beaucoup aimé l'aspect matriochka de la narration, qui tisse bien, dès les premiers temps, l'ambiance de ce monde d'hier cher à Zweig.
- il faudrait écrire un jour un article sur l'obsession de la symétrie chez Wes Anderson. C'est impressionnant. Ca reformate l'oeil pendant deux heures - tout comme ses inévitables travellings, qui me font toujours autant sourire. Je suis ressortie complètement obsédée par des envies de perspectives parallèles et de personnages parfaitement centrés.
- j'ai retrouvé dans ce chou à la crème tout ce que j'aime chez ce cinéaste et qui doit faire hurler ceux qui ne l'apprécient pas : une manière à la fois très anglaise et très enfantine de filmer et de raconter. Anglaise pour le traitement des émotions - cet espèce de léger détachement élégant qui confine parfois à l'absurde, pour laisser ressortir par légères bouffées pudiques des sentiments. Enfantine pour cet art du faire-semblant que j'apprécie tant chez lui. Tout est si artificiel, si bricolé, si parfaitement esthétique : décors somptueux au couleurs travaillées, costumes nets, dialogues filmés comme une partie de ping pong, noms improbables (Zéro, Zubrowska...), maquettes délicieuses qui s'assument, poursuites cartoonesques, accessoires théâtraux, plans conçus comme des tableaux, et cette curieuse atmosphère insouciante, frénétique, légère et grave à la fois. Et pourtant tout fonctionne, pourvu qu'on décide de s'y abandonner, comme un enfant qui avec trois ombres, deux pots de peinture et un bout de bois s'invente une utopie élégante et désuète confrontée au vertige de sa disparition.
- la galerie de personnages et d'acteurs donnent le tournis. Mention spéciale à la chaîne de concierges. A la silhouette d'Adrian Brody, l'homme le plus élégant du monde, même quand il brise une toile d'Egon Schiele. Aux dents de Willem Dafoe. Aux légers dérapages verbaux de Ralph Fiennes, à ses déclamations romantiques. A la choucroute de Tilda Swinton. Aux tatouages d'Harvey Keitel. Aux doigts de Jeff Goldblum. A la moustache de Jude Law et à sa veste croisée de tweed gris. Bon, tous.
- les décors m'ont donné envie de retourner à Prague et à Vienne, pour refaire une orgie d'Art Nouveau. Et à la Pinakothek de Münich (le plan sur la prison m'a rappelé des tableaux de Caspar David Friedrich, ramenés à la vie). Et de revoyager en train.
- la musique aux relents cartoonesques était aussi délicieuse que la vue des pâtisseries Mendl ou que l'adorable fraise de naissance de Saoirse Ronan.
- les multiples clins d'oeil aux précédents films (l'évasion à la Fantastic Mister Fox, le Concierge sortant du Darjeeling, Edward Norton qui rejoue une scène à la Moonrise Kingdom mais en prenant le rôle qu'y tenait Bruce Willis) m'ont doucement amusée.
- je ne sais pas comment j'ai réussi à pleurer comme une madeleine devant ce film frais comme une bouffée d'air enneigé qui chatouille doucement les joues jusqu'à les faire devenir rose crème.
Délicieux. Pas mon Anderson préféré, mais délicieux comme une pâtisserie réconfortante.
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