Si je vous parle d’un huis-clos danois avec un personnage enfermé quasiment dans la même pièce pendant 1h25, vous me répondez quoi ? Barbant ? Risqué ? Intriguant ? C’est danois donc ça va être chiant ? Il serait dommage de passer à côté de ce film d’une redoutable efficacité, conjuguant le suspense hitchcockien avec un vrai sens de la dramaturgie. Si le huis-clos n’a rien d’original au cinéma, « The Guilty », réalisé par Gustav Möller, en offre une version épurée, minimaliste, convoquant la suggestion, l’ambiance alerte et les effets sonores particulièrement prenants.


Malgré ses 1h25, « The Guilty » ne compte pas tout sacrifier de peur d’ennuyer le spectateur. Les premiers instants prennent le temps de décrire l’environnement d’Asger, ses habitudes et surtout ses caractéristiques psychologiques. L’archétype du policier nonchalant, s’amusant de sa situation mais cachant de lourdes fêlures. Si ce point de départ ne paraît pas excitant au premier abord, l’implication de l’acteur et la justesse d’écriture permettent une première base émotionnelle qui ne fera que s’accentuer durant les péripéties. Quand le fameux coup de fil déclencheur de l’action arrive, quelque chose change progressivement. Sans effet de mise en scène, le film bascule dans une tragédie dont l’issue provoque de réelles angoisses. La caméra scrute le visage d’Asger, ses gestes, ses réactions et surtout ses temps de réaction.


« The Guilty » est avant tout le portrait touchant d’un homme qui voit sa culpabilité le ronger progressivement, un paradoxe intéressant quand on constate en même temps sa dévotion pour aider cette femme. Un parti-pris scénaristique pertinent tant la place dans laquelle se trouve le policier fut déterminé par une faute qui risque bien de changer sa vie. S’enfoncer dans les ténèbres pour mieux retrouver l’Humanité, écouter l’autre, ne pas l’abandonner ou retrouver les sensations de la lutte, voilà bien des sentiments que ne ressentaient plus Asger depuis un moment. C’est un voyage intime, une introspection psychologique qui va permettre à Asger de savoir qui il est réellement. Le film dévoile par petites touches son histoire tout en maintenant une progression fine des enjeux.


L’intrigue n’est pas en reste et réserve son lot de rebondissement plutôt intense. Si l’on peut deviner certaines ficelles, le récit, toujours au travers des appels téléphoniques, dévoile des moments forts d’une rare intensité. On se souviendra notamment des passages avec les enfants de la femme kidnappée, déchirants et alimentant une peur justifiée par le côté insaisissable des évènements. Une vraie relation se construit entre Asger et donc Iben, qui va catalyser leurs repères, leur détresse et surtout leurs espoirs. Un échange surprenant, déroutant et finalement profondément humain va s’opérer entre eux. L’issue, bouleversant, finira d’achever une histoire de larme, de sang et de crime qui emportera tous les aprioris de leur existence.


Le travail sur la bande-son est impressionnant, finissant de développer le caractère intimiste de l’histoire. Un aspect qui permettrait de décupler une réflexion sur l’aveuglement, sur le fait de ne pas accepter qui l’on est. Asger comme Iben devront regarder l’inévitable pour pouvoir avancer et ne pas être privés des êtres chers. Les actes ont des conséquences et il faut savoir faire face à cela. « The Guilty » n’est en rien moralisateur ou complaisant dans sa manière de traiter son sujet. Il le fait avec force, conviction et une forme de modestie qui ne gâche jamais les effets déployés. Même à la fin, on imagine encore le film. Asger achève son rôle des appels d’urgence, il entame maintenant l’histoire de sa vie.


« The Guilty » est au final un thriller marquant aussi divertissant que profond. Sa palette d’émotions transcendent son postulat risqué de départ. C’est une proposition de cinéma impressionnante qui ne se montre jamais paresseuse et démontre une grande finesse dans l’approche psychologique de ses protagonistes. Les effets techniques sont très bien pensés, épaulant une grande performance d’acteur. Espérons que Möller transformera l’essai pour son prochain film.

AdrienDoussot
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le 19 oct. 2020

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