Une puissance viscérale derrière un teen movie artificiel

La fin du mois de janvier 2019 aura décidément porté sur la thématique du racisme. Entre la comédie Qu’est-ce qu’on a encore fait au Bon Dieu ? et le biopic dramatique Green Book, il faut également compter The Hate U Give. Adaptation du best-seller d’Angie Thomas, le film s’intéresse ici aux violences policières faites sur la communauté afro-américaine, et ce de manière abusive. Un sujet de base très fort, mais reste encore à savoir s’il est traité comme il faut. Si le film reprend l’essence même du livre, à savoir retranscrire toute la haine, la colère qu’éprouvait l’auteur en l’écrivant. Je reviens à ce que je disais lors de ma critique sur Green Book : il existe deux genres de films à la thématique puissante. Ceux qui la développent avec une efficacité des plus percutantes (Mississippi Burning, Twelve Years a Slave, Detroit), et ceux qui, pour bien se faire voir, utilisent d’artifices de mise en scène au point d’en être un peu trop lourds et m’as-tu vu (Le Majordome). Reste à savoir dans quelle catégorie se range The Hate U Give ! Et force est de constater qu’avec son entame, le long-métrage se place aussitôt dans la seconde…


Car d’entrée de jeu, le film dévoile ce qui va être son plus gros défaut et gâcher son rendu final : être un teen movie. Comme si le fait d’avoir une adolescente comme héroïne induisait que le public visé serait de la même trempe, le film s’approprie les clichés que l’on aperçoit dans ce genre de cinéma. Comme cette voix off, celle du personnage qui nous raconte sa vie tandis qu’elle déambule dans son quartier ou dans son école, le tout au ralenti et sous les airs de chansons entrainantes. Nous racontons sa petite vie de jeune, avec sa famille et ses amours au premier plan. On pourrait se dire que c’est juste l’introduction. Que c’est pour nous, spectateurs, une façon de nous faire entrer dans l’histoire – de manière justement artificielle. Mais cela dure pendant tout le film. Nous servant du ralenti en veux-tu en voilà pour certaines séquences que cela en devient lourdingue. Nous imposant beaucoup trop de fois la voix off du personnage, à tel point que cela fait perdre à quelques scènes leur impact émotionnel. Leur crédibilité même, quand l’écriture se retrouve pour le coup forcée à en être dégoulinante de bons et mauvais sentiments. Avec tous ces artifices, The Hate U Give nous déverse certes sa colère comme le bouquin le faisait, mais ici, c’est comme s’il s’agissait de la colère d’un jeune qui crachait au visage de son interlocuteur pour montrer qu’il existe. Pour imposer ce qu’il a à dire sans réellement approfondir son sujet. Pour finir sur une sorte de happy end que l’on aurait pu voir dans n’importe quel autre teen movie. Et c’est fort dommage que le film ait cette allure…


Oui, fort dommage car dans sa majorité, The Hate U Give est un film percutant. Un film qui, en déversant cette haine, propose quelque chose de réellement puissant au milieu de ses effets conventionnels. Car hormis son message haineux envers le racisme qu’il livre par des scènes téléphonées (l’héroïne s’improvisant meneuse de manifestation), le long-métrage parvient mieux à traiter son sujet quand il s’intéresse à ses personnages. En se penchant sur leur vie personnelle, familiale. Dès le début, on nous présente l’héroïne ainsi que ses proches, ses amis. Ce qui nous permet d’avoir un attachement certain avec eux. Et une fois cette proximité effectuée, nous pouvons vivre l’histoire comme les protagonistes, comme eux la vivent. Avec beaucoup de tension quand l’héroïne est menacée par le gang de son quartier (qui tente de l’éliminer parce qu’elle va les dénoncer, étant indirectement lié à la mort de son ami). Avec beaucoup de haine quand nous sont décrits les points de vue désintéressés sur le décès qui va tout déclencher (des étudiants usant de ce fait juste pour sécher les cours). Quand nous est montrée l’injustice environnante. Avec beaucoup de tristesse et de force quand on voit l’héroïne traverser cette terrible épreuve, devant au passage jouer plusieurs rôles pour ne rien laisser paraitre en public (jonglant entre sa vie de « Noire du ghetto » et d’élève modèle dans une école de la haute, de cacher un temps qu’elle a été le témoin de l’assassinat…). Même avec beaucoup de joie quand s’incrustent quelques situations plus légères (la rencontre entre le père de l’héroïne et son petit ami Blanc) afin de nous laisser respirer parmi toute cette colère. Voilà ce qui donne à The Hate U Give toute sa force, le fait que derrière ses artifices, l’ensemble se montre poignant et viscéral. Son histoire, le film nous la fait vivre. Et on en sort chamboulé, touché en plein cœur.


Pour être arrivé à ce point, il faut reconnaître l’efficacité de la mise en scène du réalisateur George Tillman Jr., à qui l’on doit le biopic Notorious BIG. Bien qu’elle soit impersonnelle et par moment tape-à-l’œil, elle reste aussi puissante qu’un uppercut quand il le faut. Offrant de la tension à une arrestation ou une simple discussion familiale. Allant même jusqu’à transformer une manifestation en une séquence spectaculaire. Si certaines sont, une fois de plus, amoindries par le côté teen movie (le dénouement, d’une puissance incontestable, perd cette dernière à cause de la voix off), elles restent dans l’ensemble imposantes. Un fait que l’on doit également au jeu des comédiens (dont la star montante qu’est Amanda Stenberg), totalement investis dans leur personnage respectif, qui prennent alors vie avec une facilité déconcertante. Renforçant cette proximité que nous avons avec eux.


Oui, vraiment dommage que The Hate U Give ne sorte jamais de son aspect teen movie qui ne vise qu’un certain public, l’empêchant de trôner aux côtés de grands titres. Car derrière ses artifices pompeux, le long-métrage avait ce qu’il fallait pour être le film coup de poing de cette année 2019. Il parvient à nous émouvoir, et pas qu’un peu ! Mais il aurait pu être encore plus éprouvant que cela, s’il n’avait pas été traité de manière aussi conventionnelle. En bref, puissant mais pas aussi ravageur que prévu…


Critique sur le site https://lecinedeseb.blogspot.com/2019/02/the-hate-u-give-la-haine-quon-donne.html

sebastiendecocq
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le 5 févr. 2019

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