Superficiellement et apparemment plat, comme les immenses et monotones plaines du Nebraska, le nouveau film de l’américain Tommy Lee Jones est probablement moins anodin et plus corrosif qu’il pourrait le laisser croire. Le motif du voyage revient une fois encore chez le réalisateur de Trois enterrements. Un voyage en quelque sorte à rebours dans l’Amérique du milieu des années 1800 où une pionnière indépendante est chargée de ramener trois femmes ayant perdu la raison de son Nebraska natal vers l’Iowa, c’est-à-dire vers l’Est. Elle monnaye les services d’un vagabond, George Briggs, qu’elle sauve d’une mort par pendaison pour lui prêter main forte dans l’expédition.

C’est une équipée censée se passer sur quelques semaines mais paradoxalement on a l’impression d’une durée bien plus étirée, parce qu’elle s’effectue à un rythme excessivement lent dans des étendues à perte de vue, qu’il ne s’y passe à peu près rien – les éventuels dangers sont rapidement écartés – et qu’enfin le temps y est si changeant (neige, soleil, éclosion de la nature) que tout aussi bien quelques saisons auraient pu s’écouler. Tout ceci ne manque pas de dérision ni de décalage, Tommy Lee Jones paraissant d’abord beaucoup s’amuser avec les codes du western. L’amusement, et de manière totalement inattendue, finira par laisser place à une sorte de gravité et de profondeur d’autant plus troublantes qu’elles n’entament en rien la modestie et la simplicité de la réalisation, refusant l’esbroufe et l’utilisation des codes séculaires et inévitablement efficaces, même si éculés, du genre : bagarres, attaques, etc. Pourquoi, au demeurant, l’acteur de Dans la brume électrique éprouverait-il le besoin d’en rajouter, là où les figures de ces trois femmes ayant trouvé refuge dans la folie à force de malheurs, de misère et de violence, suffisent amplement à rappeler la dureté des temps de la conquête, largement embellis et édulcorés par la légende construite de toutes pièces ?

De l’autre côté du Missouri, la civilisation est certes plus avancée mais il suffit de quelques scènes à Tommy Lee Jones pour clouer au pilori une certaine idée de la religion, d’une fausse compassion éloignée de la réalité, déjà repliée sur des privilèges, ce qui augure tragiquement des temps à venir. À la limite de la contemplation et de la métaphysique, celui à qui la France, et plus précisément le festival de Cannes, pourrait bien réserver le même sort qu’il offrit jadis à Clint Eastwood, soit une reconnaissance et une notoriété en tant qu’auteur, maitre à penser déconstruisant mine de rien le système qui l’abrite, réalise un film surprenant dont l’humilité et la discrétion sont les élégants paravents d’une intention plus trouble et nuancée. C’est dans cette ambiguïté que The Homesman exalte toute sa puissance et sa singularité.
PatrickBraganti
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le 21 mai 2014

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