Il n’y a vraiment que les Américains pour créer des controverses inutiles, pour s’émouvoir de pas grand-chose. Par exemple un bout de téton à la télé, la terre qui serait ronde, une tache de sperme sur une robe ou un film inoffensif comme The hunt, relecture gentiment trash des Chasses du comte Zaroff. La bande-annonce, contenant plusieurs scènes de mort par armes à feu, fut diffusée quelques jours avant deux fusillades (à Dayton et El Paso en août 2019) qui, en moins de 24 heures, firent plus de trente victimes. La sortie du film, prévue pour fin septembre 2019, fut ajournée, Universal déclarant que ce n’était pas "le bon moment".


Mais ce sont surtout les républicains qui, Trump en tête et sans même avoir vu le film, crièrent au scandale devant le spectacle affligeant, et forcément gaucho-hollywoodien, d’une élite progressiste s’amusant à zigouiller des péquenauds issus des états ruraux voués corps et âme au trumpisme. Des "déplorables", comme souligné dans le film, et reprenant le terme employé par Hilary Clinton lors de sa campagne présidentielle de 2016 pour désigner les militants de Trump les plus extrémistes. Sauf que The hunt se fout autant de la gueule de ces élites bien-pensantes, arrogantes et SJW à mort (contre le genre, contre la réappropriation culturelle, contre le mâle blanc dominant, etc.), que ces rednecks particulièrement bas du front (chasseurs, racistes, complotistes, etc.).


Démocrate ou républicain, riche ou pauvre, instruit ou inculte, crème de la crème ou minorité, tout le monde va prendre cher, et pas question de faire dans la nuance. Écrit par Nick Cuse et Damon Lindelof (l’un des créateurs de Lost), The hunt démarre ainsi sur les chapeaux de roue avec vingt premières minutes jouissives et pas mal gore, avant de perdre ce côté rentre-dedans et d’opter pour une autre ligne narrative plus bavarde et plus fouillis (toute la partie dans le camp militaire ne sert quasiment à rien). Et de ne plus se concentrer que sur un seul personnage (Betty Gilpin, géniale en guerrière badass, impassible et un rien toquée), abandonnant vite, de fait, l’idée initiale de chasse groupée et de survival de l’extrême.


Ce resserrement de l’intrigue, dans sa dernière partie (celle dans le "manoir"), permet de constater que chaque classe sociale ici en jeu s’est perdue dans ses certitudes, ses griefs et ses propres fake news (voir les révélations finales), affichant avec suffisance ses appétits de domination morale (on ne cite pas par hasard La ferme des animaux de George Orwell). Avec, pour conséquences, la perte de valeur du rapport humain et la désintégration du débat d’opinions que viendra résumer, plutôt violemment, ce combat final à la Kill Bill. Quand même loin de l’uppercut annoncé, The hunt, qui aurait pu aller encore plus loin dans la satire bête et méchante, se révèle in fine aussi distrayant qu’accessoire.


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mymp
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le 1 avr. 2020

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