On s’imaginait des choses par rapport à The revenant, on pensait à des trucs comme ça, en l’air… Genre le trip ultime en termes de survival contemplatif et sauvage, avec immersion totale dans l’expérience (nihiliste si possible) et fulgurances esthétiques qui te punaisent, qui te clouent même. Un uppercut quelque part entre Jeremiah Johnson et Dead man, Herzog pas mal (période Aguirre et Fitzcarraldo pour les tournages dantesques au bout du monde en mode fin du monde) et un arrière-goût épars de l’affreux Essential killing, le tout lardé d’envolées esthético-malickiennes. Voilà pour l’espèce d’idéal, de chimère, d’envie qu’on en avait, au fond.


Retour au réel maintenant quand t’es calé dans ton fauteuil, du fond : on n’est pas loin de l’affaire, certes, pas très loin, mais sans l’uppercut espéré, désiré, rêvé en rêves fous. Ébloui oui, mais pas emballé, conscient d’un manque. Sorte de remake extrême et sanglant du Convoi sauvage de Richard C. Sarafian avec Richard Harris, The revenant déçoit finalement parce que le film déroule un scénario assez convenu (et tolère un montage parallèle plus que faiblard) qui bouscule et surprend à de rares exceptions, quand Iñárritu soudain lâche la bride d’une intrigue mal embouchée pour faire de son gros œuvre un grand film malade.


Il eut fallu, monsieur, aller plus loin dans la radicalité, oser le geste artistique total (quitte à perdre pas mal de spectateurs en route, qu’importe), tenter l’absolu sidérant plutôt que d’osciller dans une sorte d’entre-deux errant parmi les vestiges de ce que le film aurait pu être : un chef-d’œuvre, sans doute. On pourrait louer la réalisation, ample et tape-à-l’œil, d’Iñárritu, pourquoi pas, mais il faut vanter surtout la photographie sublime, tout en lumières naturelles et irréelles, du magicien Emmanuel Lubezki qui, une fois de plus, fait (se tape) tout le boulot, et aussi la musique envoûtante, tendance ésotérique, de Ryuichi Sakamoto.


Les personnages restent des blocs de granit pris dans le gel s’exprimant plus généralement par cris, borborygmes et bougonnements (et rarement par mots), et pour lesquels on ressent peu de sympathie, et même de compassion parce qu’ils ne sont finalement que des petits points dans des paysages grandioses qui écrabouillent tout, emblèmes fourbus d’un mysticisme mignonnet, figurines trop précises (celui qui est méchant, celui qui doute, celui qui commande, ceux qui font tapisserie…) dans l’ardeur des mouvements d’une caméra se sachant prodige. Peu de sympathie donc, peu de compassion, et même pour ce Hugh Glass moribond habité par un Leonardo DiCaprio illuminé, enragé à mort, montrant les dents.


Un héros tourmenté entre vie et trépas, passé et présent, cherchant la vengeance au-delà de tout entendement et de tout inframonde. DiCaprio en grande forme dans ce qui ressemble davantage à un exploit sportif ou un happening nature et découvertes qu’à une véritable interprétation (avec Oscar à la clé) : DiCaprio qui bave, DiCaprio qui postillonne, qui grimace, qui rampe, qui nage, qui cavale, se fait écharper par un ours (la scène est balèze, hyper impressionnante), se met tout nu dans une carcasse fumante de cheval, mange du poisson et du foie de bison crus… Ce n’est plus vraiment The revenant là, c’est carrément The performant.


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mymp
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le 19 févr. 2016

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