Marche funèbre
Ce n'est pas très conventionnel, mais commençons par une mise au point entre rédacteur et lecteurs : je fais partie des rares personnes qui n'ont pas aimé Birdman, le précédent travail d'Alejandro...
le 25 févr. 2016
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Pour Alejandro Gonzalez Inarritu, un bon film semble être celui où le spectateur pris en otage perçoit à chaque instant la performance technique et visuelle, et la performance des comédiens. Si la forme raconte le contraire du fond, qu'importe. Birdman était une grosse machine tournant à vide, croûlant sous les effets, effets d'une caméra en "plan-séquence" numérisé, et effets d'acteurs cherchant l'Oscar à bonne dose de crises psychologiques hurlantes. La virtuosité d'un plan-séquence, celle d'Orson Welles en intro de La Soif du Mal, des plans-séquences de Brian De Palma, ou celui de La Corde d'Alfred Hitchcock, n'est pas forcément synonyme de cinéma racoleur : elle peut venir jouer avec l'immersion du spectateur pour d'excellentes raisons. Lui rappeler qu'il est au spectacle, s'éloigner du personnage pour faire tomber son masque, faire ressentir l'écoulement du temps, ou intégrer le spectateur parmi les protagonistes comme un témoin invisible... Mais quand la virtuosité est systématique, elle semble n'être là que pour cacher un manque d'idées, pour "décorer" son scénario.
The Revenant nous livre cependant de nombreuses beautés, et n'est pas tout à fait le même rouleau-compresseur qu'était Birdman. Le cinemascope allié au grand angle donne à voir une période historique d'une manière inédite, à rendre le passé présent. D'ailleurs, on sent que Inarritu et son équipe artistique ont potassé le cinéma de Tarkovski, et l'ont redigéré. Le film donne à sentir les éléments et le temps qui passe. Malheureusement, ces quelques beautés sont gâchées par l'absence totale de finesse de la mise en scène, optant sans cesse pour le "toujours plus".
Le cinéaste nous bombarde de plans complexes, vidés de leur sens à force d'emploi à répétition. L'exemple le plus criant est la mort du fils de Glass : séquence importante, délicate, elle se conclue par un travelling avant jusqu'à l'extrême gros plan du père, dont le souffle vient créer de la buée sur la paroie vitrée de l'objectif de la caméra. Effet presque agressif, qui nous rappelle la présence de la caméra, comme pour détruire notre immersion à cet instant : quel sens apporte cet effet ? Un gadget, d'une grande vulgarité par sa totale gratuité, après la vision d'un cadavre d'enfant. Sans cesse, Inarritu vient nous rappeler son génie technique. Regard-caméra qui conclut le film, visions oniriques maladroites (toutes copiées sur Tarkovski, à la sauce "accessible" hollywoodienne). La première grande séquence de l'attaque des Indiens est du même ordre : du surgissement de la violence, réussit, effroyable, on passe à un ballet technique, qui donne envie d'applaudir l'équipe des effets spéciaux et des steadicamers, mais qui réduit la mort et la guerre à des "effets trop stylés".
Pourtant, Inarritu a choisi une histoire simple. Une vengeance, un désir de survie, l'homme redevenu animal... Parfois, ces effets surjoués ont du sens par rapport au récit : notamment, les effets de giclée de neige et de sang sur la caméra (bis donc), lors du combat final des deux ennemis. Quelques moments d'appaisement, comme l'échange entre Glass et l'Indien qui lui vient en aide, sont réussis. Autre aspect interessant, la bestialisation du jeu de DiCaprio, boule de nerfs coincée dans un corps en charpie.
Quand la mise en scène propose l'immersion, elle est donc réussie. Elle apporte alors une belle modernité au récit. Quand elle surgit à notre visage, imposée par le cinéaste, dans une volonté de démonstration, elle est vaine et irritante. Et c'est globalement ce sentiment de lourdeur que nous impose la mise en scène tape-à-l'oeil d'Innaritu. Une mise en scène qui vient presque à contrario de son récit. La scène de l'ours résumé à elle seule ce problème : théâtrale, grotesque tant dans ses effets de caméra que dans ses effets numériques, ce "viol" ne semble être là que pour choquer, marquer l'esprit du spectateur. L'aboutissement du duel final, avec l'arrivée des Indiens pour achever l'ennemi Fitzgerald, et la voix-off de Glass "Il faut laisser la vengeance à Dieu", est également extrêmement indigeste. Tout est surligné. De même pour la dernière apparition mentale de la femme de Glass, effet d'image-souvenir répétée jusqu'à l'overdose, suivi d'un regard caméra, dernier "effet pour l'effet".
Un film que j'aurais aimé aimer, donc. Que j'ai aimé, par instants. Le récit en est fort. La technique est belle. Mais la lourdeur du style est pesante. S'il n'avait cherché la prouesse à chaque plan, Inarritu aurait probablement livré une oeuvre assez fascinante. Au lieu de cela, un film pompeux, et pompier.
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