L'absurdité, non pas dans le sens un peu vide de sottise ou stupidité mais bien dans le sens de quelque-chose de contraire au sens commun, qui déstabilise, interroge tout en amenant une mise en scène comique. Qu'est-ce que The Square si ce n'est un objet de ciné difficilement identifiable, qui sort le spectateur de son cadre logique d'interprétation. Vite repérée et acceptée, l'extravagance saugrenue du film fait rire volontiers. Les scènes cocasses dans lesquelles s'agitent des personnages aux comportements bizarres se succèdent : vol de téléphone épique, scène de sexe rocambolesque, réunions de com caricaturales et buzz raté sur les réseaux, dîner guindé perturbé, chimpanzé comme colocataire etc. Le protagoniste Christian, directeur du musée d'art contemporain, est lui-même une sorte de Pierre Richard bougeois assez mal habile frappé de malchance qui évolue tant bien que mal dans cet univers à la fois très sérieux et très loufoque. La tonalité tranche avec le cadre. Mais sous cette apparente légèreté qui fait rire, quel est le sens, qu'est-ce qu'on veut nous montrer ? Une société du spectacle un peu ridicule avec l'art contemporain comme pastiche d'une recherche absolue de sens, d'une vision du monde intellectualisée et élitiste vaine ? Art et érudition (bourgeoisie et privilégiés?) pâtissent d'une certaine impuissance à nous guider: les tas de débris exposés dans une grande salle sans visiteurs sont en partie aspirés par l'homme de ménage, la grandiloquence conceptuelle de l'artiste venu parler de son œuvre est court-circuitée par les insultes prosaïques d'un Gilles de la Tourette. Finalement, presque tout est vraisemblable mais presque rien ne s'avère vraiment normal, stable, interprétable et donc rassurant, à l'image de cette scène de dîner mondain d'abord drôle mais ensuite dramatique et anxiogène, tout comme la colère du petit garçon envers Christian est d 'abord comique puis inquiétante. On finit par arrêter de sourire. The square, objet d'art, comme havre de paix et d'altruisme, symbole protecteur, semble alors hautement ironique. On décèle en effet dans le monde donné à voir par The Square, film, les symptômes d'une certaine folie qui, entre rire et stress, mettent mal à l'aise et laissent perplexe. Altruisme ou égocentrisme, générosité ou égoïsme, privilèges ou égalité, intellect ou instinct, sexe ou amour, nous sommes tous schizophrènes et pas irréprochables. Nous faisons nous-mêmes partie de la comédie, spectateurs appartenant à cette époque, ce monde, cette société et poussés à chercher un sens hautement éclairé à tout ça après la projection.