Pas très convaincu par la bande annonce, comme souvent, j'y suis allé avec circonspection, mais j'y suis allé quand même, peu de palmes d'or m'ayant, finalement, déçu. Celle-ci a fait l'objet de moult polémiques, mais pour ma part je marche ! Et j'aurais donné la palme à ce film plutôt qu'aux 120 battements par minute de Campillo, un peu trop consensuel à mon goût. Certes, là aussi le propos est assez consensuel et finalement pas si féroce que ça : dénigrer l'art contemporain, dénoncer la superficialité de nos sociétés modernes, l'égoïsme et l'individualisme dans laquelle les pays occidentaux se complaisent... rien de très nouveau sous le froid soleil suédois.
Mon enthousiasme vient sans nulle doute de la mise en scène, car le film m'a semblé une succession de scènes captivantes, souvent drôles, parfois remuantes. Citons-en quelques unes :
- La réunion avec l'agence de com', et ce bébé incongru.
- Le tour des boîtes aux lettres dans l'immeuble par Christian, avec ces lumières qui s'allument et s'éteignent, exprimant bien l'absurdité du procédé et la nervosité qui s'empare de Cristian au moment de se frotter au réel (le grand sujet du film).
- Le collègue filmé à l'arrière de la voiture, un plan superbe qui fait complètement ressentir l'angoisse qui l'étreint.
- Toutes les scènes avec le jeune garçon, qui représente "le réel", qui insiste, sûr de lui, avec une force et une simplicité touchantes.
- La scène de sexe, qui exprime bien le côté mécanique de l'expérience (rarement ressenti à ce point).
- L'altercation qui s'ensuit à propos du préservatif, très drôle et en même temps troublante.
- L'explication un peu plus tard au musée, avec un superbe jeu sur la bande sonore (et j'aime bien le fait qu'il se souvienne de son prénom : souvent, le film ne tombe pas dans la facilité, contrairement à ce que j'ai pu lire).
- Le "au secours" lancinant du gamin qui torture Christian dans sa cuisine (imaginaire ?).
- Et bien sûr, la scène du dîner de charité, avec ces invités figés comme des statues de cire, face à la sauvagerie pure de ce performeur (dommage, en revanche, la conclusion, beaucoup plus faible).
Autant de scènes marquantes (il y faudrait ajouter de très beaux plans, comme les cages d'escalier, la cloison devant le local à poubelles chez Christian), on tient déjà un grand film, même s'il souffre quand même de quelques faiblesses : trop long, et parvenant mal à unifier toutes ces scènes sous un propos fort. La fin, notamment, est assez banale et décevante (du message au gamin jusqu'à la visite à l'immeuble, en passant par le concours de gym, dont on se demande ce qu'il vient faire dans le propos, à part nous montrer un Nième carré).
En revanche, je ne comprends pas pourquoi on trouve le film misanthrope, et le héros détestable. Je le trouve pour ma part certes assez médiocre, mais aussi humain, capable d'empathie et de remise en question.
Pour résumer : un propos pas si subversif que ça, mais brillamment réalisé, avec style. Palme d'or méritée, même si Faute d'amour eût pu aussi l'avoir.