Récompensé d’une palme d’or au dernier festival de Cannes, le film de Ruben Östlund offre une féroce satire de nos travers contemporains. Grinçant, virtuose, le réalisateur suédois provoque stupeur et malaise.
« Vous allez bientôt être confrontés à un animal sauvage. Si vous tentez de fuir, l’animal vous traquera. Mais si vous restez parfaitement immobile, l’animal pourrait ne pas vous remarquer. Vous serez en sécurité, soulagé de savoir qu’un autre sera la proie ». La voix, placide, se tait. Un performer débarque, mimant la gestuelle d’un gorille. L’assemblée du gala, d’abord amusée, se laisse peu à peu submerger par la colère et l’angoisse. La scène s’étire. Sur son fauteuil, le spectateur suffoque : bienvenue dans le cinéma glaçant d’Östlund.
Les scènes étranges foisonnent : grotesque débat autour d’un préservatif après une scène d’amour, interview d’artiste interrompue par les jurons d’un homme atteint d’un syndrome de la Tourette, discussion amoureuse entrecoupée par le vacarme d’une oeuvre qui utilise des bruits de chantier…
Dans The Square, les personnages sont systématiquement malmenés. Bourgeois bien-pensants insensibles et hypocrites, mendiants grossiers, journalistes recherchant le sensationnel, publicitaires écoeurants, artistes prétentieux, féministe hystérique : aucun stéréotype ne nous est épargné.
Avançons dans l’intrigue. Les 2h22 touchent bientôt à leur fin lorsque notre charismatique conservateur grimpe quatre à quatre les marches d’un escalier de treize étages. Le travelling vertical est époustouflant de technique. Le plan dure et commence à donner le tournis, à l’instar du film : jusqu’au vertige, jusqu’à la nausée.
Qu’est-ce qu’une oeuvre d’art ? Jusqu’où peut-on aller dans l’extravagance et la dénonciation ? À quoi sert l’art ? A-t-on le droit d’utiliser un bad buzz pour soutenir une belle cause ? Comment mieux accueillir ? Mieux redistribuer les richesses ? Peut-on faire confiance à l’autre ? Le film pose plus de questions qu’il n’offre de réponses. Les rares pistes esquissées dessinent un tableau noir de notre modernité, présentée comme centrée sur son seul nombril. Certains diront que ce constat est lucide et nécessaire.
On a tenté de demeurer immobiles face aux attaques mais impossible d’échapper à ce vitriol.
La traque est finie : nous sommes tous des proies.
Pour voir la critique complète et illustrée : https://annakelsat.com/2017/11/05/the-square-se-paie-la-tete-de-lart/