Quelque part, c'est bon : j'ai regardé la purge d'Östlund, j'ai subi ses deux interminables heures et demi, durant lesquelles il ne se passe rien, qui s'étirent encore et encore sans que rien, pas un événement, une idée, un quelque chose même insignifiant, ne vienne réhausser sa mise en scène ; j'ai donc enduré ce film, je l'ai supporté, j'ai vécu l'expérience jusqu'au bout, dans ce qu'elle a de pénible, de laborieux, de fatiguant, et de vain ; en sorte que, désormais, je peux ne plus jamais voir un seul autre film de Ruben Östlund, jamais, plus jamais : ma conscience est tranquille. Ce sera l'argument par The Square : qu'irais-je m'infliger un quelconque autre de ses films, lorsque je me suis tapé les deux heures trente de The Square ? Pour moi c'est imparable.
Il y a une scène qui résume, à mon avis, toute la vacuité, la vanité, la suffisance, et surtout, et pire encore, l'auto-satisfaction ridicule de cette infatuation cinématographique : il s'agit de l'échange entre Elisabeth Moss et Claes Bang, après qu'ils aient couché ensemble. Ils sont dans le musée, à côté d'une oeuvre d'art que l'on voit en fond de champ ; et déjà il y a un problème : un son d'objets lourds s'écroulant au sol revient régulièrement couper la parole aux deux protagonistes ; mais est-ce le son de l'oeuvre ? ou d'une autre ? mais alors pourquoi mettre celle-ci en fond de champ ? Ce son sert un effet comique : les deux personnages sont obligés de s'interrompre en plein milieu d'une dispute pour laisser le son s'amenuiser et pouvoir à nouveau s'entendre l'un l'autre. Mais le fait de ne pas savoir d'où il vient parasite cet effet : on cherche son origine en même temps que l'on voit l'effet qu'il provoque ; notre attention est relativement détournée de ce dernier, nous empêchant par là de profiter à plein de l'effet comique. Mais s'il n'y avait que ça ! En réalité, l'effet comique est surtout anéanti par le dialogue et sa nullité totale ! Il y a d'abord un premier temps où on ne sait pas si Claes Bang ne se souvient pas d'avoir couché avec elle, ou si il fait semblant pour ne pas avoir à le dire tout haut. Mais qu'est-ce que ça fait ? Pourquoi ne veut-il pas le dire ? On ne saura pas. Ensuite, on se rend compte qu'il a oublié le prénom de cette femme ; et puis il en tente un, qui s'avère être le bon : mais a-t-il réellement tenté le coup ? Rien dans le jeu, ou la mise en scène, ne souligne le fait que c'était un coup au hasard tombé miraculeusement juste. Et puis de toute façon, là aussi : qu'est-ce que ça fait ? Quelle est l'utilité ? Enfin on termine par des considérations sur attirance sexuelle et pouvoir. Et tout du long on a cabotiné, patiné, on s'est enlisé ; sans cesse les répliques sont reprises par l'autre interlocuteur, ce qui donne une fatigante sensation de surplace. Et on ne voit pas où le réalisateur veut en venir, ce qu'il veut montrer : qu'apprend-on sur ces deux personnages, pourquoi leur faire dire ceci, et de cette manière, qu'est-ce que ça apporte comme information sur eux, qu'est-ce que ça dit d'eux ? Pourquoi les faire parler ici, pourquoi les faire s'interrompre par ce bruit ? Surtout qu'on ne retrouvera plus Elisabeth Moss que par intermittence, comme si elle était devenue subitement une simple figurante : le personnage est tout bonnement laissé de côté !
Et le film n'est fait que de ce genre de scène : un agrégat d'éléments hétéroclites mis ensemble au nom de je ne sais quelle idée mais qui n'engagent à aucune continuité, aucun suivi ; simplement Östlund fait son truc, le balance, et puis voilà, à nous de faire le travail. Si on ne comprend pas et qu'on demande l'utilité, il nous répondra sûrement : c'est de l'absurde. Mais ce ne sera que le prête-nom de ce qui n'est que paresse ; et la pire des paresses, parce qu'elle se donne tout de même les moyens d'être présentable : cadre soigné, couleurs lisses, fluidité des mouvements... Et lorsque, réellement, Östlund tente néanmoins de construire quelque chose, il faut voir à quel point sa technique est pauvre, triste ! Elle ne repose que sur une seule chose, une sorte de procédé par contrepoint : en gros, des personnages qui se prennent au sérieux sont perturbés dans leur monolithisme par un élément tiers qui intervient aléatoirement et qui est foncièrement choquant dans son apparition : il s'agit, par exemple, eh bien tout bonnement de la scène que je viens de citer, mais aussi celle avec un bébé qui pleure, ou celle avec un homme atteint du syndrome de la Tourette. Et l'on voit ce que cette énumération fait apparaître : Östlund n'a littéralement que ça pour faire naître son comique de l'absurde ! Et ce qui est d'autant plus triste, c'est que... ben ça n'est pas drôle ! Oui, c'est absurde, mais au sens péjoratif du terme : quel est le sens, quelle est l'utilité, de cet homme qui hurle des obscénités à tout bout de champ ? de ce bébé qui pleure ? A quoi ça sert, pourquoi c'est là ? On est bien trop préoccupés à se poser ces questions pour se laisser aller à rire. Du coup ça fait presque de la peine de voir le réalisateur à ce point confiant dans son procédé, dans sa pauvre technique, pour la réutiliser encore et encore comme si c'était une trouvaille géniale. Il n'a sérieusement que ça à proposer ? Rien d'autre, pas d'imagination pour inventer d'autres manières de faire naître l'absurde ? Et trop d'orgueil pour s'apercevoir de cette absence d'imagination, d'inventivité ? de talent ? C'est d'un pathétique...
Alors il y a bien cette fameuse scène où un homme s'amuse à imiter un singe ; je pourrai aller jusqu'à reconnaître qu'elle est réussie ; mais les raisons de cette réussite jouent finalement contre le film ; car, si elle fonctionne relativement bien, et parvient effectivement à provoquer quelque chose chez le spectateur, c'est que, ici, enfin, pour une fois, les personnages... ferment leur gueule.