Mais Jésus leur dit : "Pourquoi êtes-vous troublés ? Pourquoi avez-vous ces doutes dans vos cœurs ? Regardez mes mains et mes pieds : c'est bien moi ! Touchez-moi et voyez, car un fantôme n'a ni chair ni os, contrairement à moi, comme vous pouvez le constater" - Évangile selon Luc 24, 38-39.


Citation initiale. Ainsi parlait Jésus, ainsi pourraient parler les forces maléfiques qui assiègent tous azimuts ce petit village rural coréen.
Pourtant nous ne cessons de douter de leur existence pendant la durée du film, et bien après encore.
Malgré l’évidence. Le Mal est partout pour nous tromper, nous induire en erreur, nous mener sur les mauvais chemins. Et nous mordons à l’hameçon. Pauvres pécheurs. Pécheurs pêchés, peu importe le pêcheur, nous pécherons par ignorance, par faiblesse et par peur.


The Strangers de Na Hong-Jin est un thriller insoluble, en prise avec des fantômes et des zombies. Le récit navigue entre un comique grotesque et une noirceur épouvantable.
Des crimes horribles sont commis et les possibles auteurs de ces méfaits, atteints d’un mal étrange recouvrant leurs corps de pustules, semblent possédés par une force surnaturelle.
Ces habitants méconnaissables, zombies fous du village sont devenus des étrangers.
Ensuite il y a les routes sinueuses et la pluie. La vie rurale, le poids des rumeurs, de la famille, des collègues…
Et puis il y a les autres, étranges étrangers.
Il y a cette femme, créature fantomatique vêtue de blanc.
L’étrange japonais démon qui vit seul au fond de la forêt. Certains l’ont vu nu, les yeux rouges, dévorant de la viande crue.
Le shaman extérieur au village, oscillant entre habit traditionnel et style urban bling bling.
On n’y comprend que dalle, on n’y croit pas et puis…
Arrivent les scènes d’exorcisme : ahurissantes, abrutissantes, ridicules et surpuissantes. Et soudain l’enfant réagit, le vieux japonais aussi. Alors on doute encore.
Ce que l’on voit est-il réel ? La rumeur raconte et nous ne voyons que ce que les personnages veulent bien nous montrer. Notamment, Jong-Gu, notre flasque et faible policier coréen, héros dont la poltronnerie nous fait sourire dans tout ce marasme.
Qu’a-t-il vraiment vu tout au long de cette enquête ? Nous avons ressenti avec lui, la pluie, les virages, le sang, les cris, la douleur mais nous ne suivons pas vraiment d’enquête. Plus les crimes se multiplient, moins il y a d’enquête. Le chef disparaît, le coéquipier aussi jusqu’à sa réapparition finale…
Nous ne pouvons avoir accès à l’histoire que par ce flic, obnubilé par ce qui arrive à sa fille et prêt à combattre le diable en personne, vaniteux qu’il est. Il finira par le trouver, armé du bras de sa propre fille.
Malgré la multitude de rebondissements, aucune issue n’est envisageable, pas même pour le chaman qui ne parvient pas à partir du village en prise à des visions délirantes. Chaman qui nous sera pourtant livré comme un coupable potentiel.
Le japonais meurt, humain très humain, traqué, effrayé pour mieux ressusciter en diable, du moins si l'on en croit la vision du prêtre. Tout est conditionné par l'état d'esprit des personnages qui habitent les scènes à ce moment- là.
La fantomatique jeune fille réapparait tout au long du film, incantation des hésitations et des choix auxquels doit faire face notre flic.
Tout ce que nous croyons comprendre est mis à mal la scène suivante.


Toutes les forces maléfiques sont réunies là, luttant avant tout entre elles. Le bon, la bête et le truand. Elles ne permettront à l’humain d’avancer dans l’illusion de comprendre et de s’en sortir que momentanément. Elles ne sont pas là pour sauver l’homme ou pour le tuer. Elles sont là pour assouvir son besoin de croire et pour le manipuler au gré de ses besoins.
L’homme devient le jouet de ses puissances ésotériques qu’il a engendrées, et toute lutte est vaine et perdue d’avance.
Il n’y a pas une fin ; ce serait l’illusion qu’il existe une solution et une explication à chaque mystère.
Il y a plusieurs fins et donc plusieurs explications possibles, ce qui revient à ne pas savoir, à ne pas savoir vraiment. Et ne pas être sûr, c’est douter. Et lorsque l’on doute, il arrive que l’on prenne les mauvaises décisions et que l’on finisse bel et bien par vendre son âme au Diable.

Lili_Lauriau
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le 14 août 2016

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Lili Pica

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