Premier film de la trilogie de l’Apocalypse de John Carpenter, série de films d’horreur dans lesquels un mal absolu semble rapprocher l’humanité d’un apocalypse inéluctable, The Thing est l’un des films d’horreur les mieux réputés de la filmographie de son illustre réalisateur et par extension de l’histoire du cinéma, bien que très mal reçu par la critique à sa sortie. Entre le remake de La Chose d'un autre monde, la deuxième adaptation du roman Le ciel est mort et une forte inspiration des Montagnes Hallucinées, ce mélange d’adaptations est devenu une œuvre originale forte pour laquelle il est temps de donner mon avis.


SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★★★☆


L'intrigue démarre du point de vue des protagonistes, au cœur d’un désert de glace en Antarctique où des hommes visiblement emportés par la folie se sont tués en tentant d’abattre un chien ayant trouvé refuge chez nos braves américains se retrouvant dans un complexe isolé de tout. Tout comme les personnages on veut comprendre la situation, identifier la menace mais les macabres découvertes qu'ils vont effectuer en première partie de récit apporteront autant de questions que de réponses si ce n'est plus. Comme en témoigne la première autopsie d’un cadavre difforme, « tout ça me paraît normal ».


Le rythme imposé est donc assez lent pour un film d’horreur, la première victime américaine se déroulant hors-champ et étant très sous-entendue, un parti pris assez osé mais qui va dans le sens du film qui met ses personnages comme son spectateur dans une position où il s’interroge constamment. On ne s'ennuie pas pour autant parce que l'intrigue a très vite démarré sans chercher à caractériser des personnages pendant 3 plombes, simplement l’état d’esprit de l’équipe, ce qui est suffisant pour le récit, l'atmosphère est déjà pesante comme il faut car on voit bien qu’il y a quelque chose qui cloche sans pour autant mettre le doigt dessus.


Ce fameux jeu d'enquête dans lequel il faut deviner qui est le monstre sous forme humaine, on y joue autant que les personnages et la mise en scène appuie avec une justesse admirable ces multiples interrogations car c’est en observant minutieusement ce qui se passe à l’écran lors de plusieurs visionnages qu’on pourra commencer à voir les différentes explications possibles. Douter de tout sans jamais avoir de certitudes, c’est à la fois le concept du scénario et de sa narration.


Ce parti pris radical fait donc que beaucoup d’indices sont laissés mais pour donner une multitude d’interprétations possibles, jusqu’à la scène finale particulièrement ambiguë :

Alors que l’on se demande si Childs est infecté et qu’on en a une première idée avec la musique qui s’enclenche, le rire de MacReady et la dernière réplique, on se rend compte en analysant la scène que l’on peut considérer aussi bien un point de vue que son exact opposé. MacReady peut avoir découvert The Thing à son insu en lui faisant boire une boisson non potable qu’il aurait recracher s’il était humain, ou alors il peut lui-même être The Thing en venant de parvenir à infecter le dernier humain qu’était Childs avec cette bouteille sur laquelle des cellules contagieuses se trouvaient. On peut même imaginer qu’il rit de nervosité en réalisant qu’il va mourir et que tous ces efforts pour tuer The Thing avec lui sont vains, tout est plausible.


Les mécanismes de contagion, de paranoïa et de claustrophobie sont au cœur du concept et permettent aussi de renforcer l’aspect effrayant du titre en jouant sur des éléments très concrets pour le spectateur, quand bien même il s’agit de science-fiction avec un extra-terrestre débarqué de l’espace à bord d’une soucoupe volante. L’idée de tests sanguins révélant une contamination mortelle que l’on ne comprend pas et qui nous terrifie semble une sacrée coïncidence avec la reconnaissance du sida comme problématique sanitaire mondial quelques années plus tôt.


A ce sujet, John Carpenter dit ceci :

C’est un film apocalyptique, la fin du monde. Mais elle ne vient pas des bombes, elle vient de nous. C’est une métaphore libre à l’interprétation du spectateur, aussi bien de la maladie que n’importe quoi d’autre mais c’est aussi fondamentalement le manque de confiance dans le monde d’aujourd’hui et entre nous.

Le casting essentiellement porté par Kurt Russel, acteur devenant récurrent des films de John Carpenter et pour lequel j’ai beaucoup de sympathie, fait bien le travail en reflétant par leur jeu la peur et la folie qui les animera de plus en plus au fur et à mesure que l’étau se resserre, notamment avec des crises de panique soudaines. Je regrette simplement l’absence totale de touche féminine à tout ce petit monde, absence qui n’est même pas justifiée dans le récit, curieux. Sinon, j’adore tous les partis pris et la qualité de leur exécution pour ce scénario et cette narration mais The Thing a également marqué les esprits par sa réalisation et son esthétisme.


RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★★☆


L'intro se charge de dégager cette atmosphère particulière de danger et de confusion dès les premiers instants du récit avec ce chien égaré en Antarctique poursuivi par des mecs en hélicoptère qui semblent avoir perdu toute raison, et toute dextérité vu comment ils laissent tomber des grenades dégoupillées mais on mettra ça sur le compte de la peur qui s’est emparé d’eux. Cela dit, s’il n’est pas simple de diriger des animaux, les différentes scènes avec les chiens sont particulièrement bien fichues et leur comportement s’adapte très bien à la situation, ce qui est assez notable.


La réalisation est partie prenante du jeu d’enquête proposé avec le peu de choses montrées à l’écran au début du film. C’est un plaisir pour moi de revoir The Ting en faisant attention à chaque détail que j’aurai pu loupé au visionnage précédent, détail qui pourrait expliquer telle révélation par la suite, sachant qu’un nuage de buée à chaque expiration ou son absence peut suffire à remettre en question tout notre raisonnement. Et c’est un aspect très important puisque le récit manque volontairement de réponses aux questions qu’il pose, la réalisation joue ainsi un rôle premier pour le compenser mais c’est un autre aspect qui marque le plus.


Les effets visuels et maquillages donnent forment à des créatures toutes plus répugnantes les unes que les autres de par leurs textures visqueuses, leur construction chaotique, leurs mutations imprévisibles, l’élasticité de leurs tissus… Ces effets si particuliers contribuent à l’identité visuelle du film dans l’intégralité du paysage des films d’horreurs. Mais la réussite se trouve surtout pour moi dans le fait que l’on fasse autant le lien avec l’être humain ou l’animal, à l’aide de prothèses très convaincantes, qui justifie la terreur de certains plans. Le visage exprimant une douleur insoutenable alors qu’on se demande si l’humain est encore en vie et ressent vraiment ce qui lui arrive est un concept particulièrement épouvantable et assez inédit pour ce genre de film.


Les mouvements semblant très organiques de ces créatures parfois gigantesques ont été rendus par un travail de marionnettiste des plus complexes et savamment orchestré avec celui des autres équipes techniques et artistiques. Tout ça a été rendu possible par le budget de 15 millions de dollars pour le premier travail de John Carpenter pour un gros studio, habitué jusqu’ici aux studios indépendants. Bien entendu, les évolutions techniques qui suivront rendront les effets assez vieillots à certains yeux mais l’ingéniosité déployée pour exploiter au mieux les technologies de l’époque et repousser les limites ce qui avait pu être vu ailleurs est plus que respectable.


La violence brutale et audacieuse, il suffit de voir la seule scène du chenil pour s’en convaincre, parce que des images violentes avec des animaux de compagnie ça peut vite tourner au scandale. Une fois que la violence se manifeste, c'est la paranoïa qui va prendre place. En effet, souvent les films d'horreur mettent en scène une menace que les personnages ressentent mais ne voient pas, là c'est amplifié. La menace peut être tout près d'eux, et peut-être même en eux à leur insu, à chaque instant sans aucun abri réel et ça créé une ambiance qui sera pour moi ce qui caractérise The Thing.


La musique de l’illustre Ennio Morricone est aussi là pour aider à consolider cette ambiance anxiogène avec notamment cette mélodie du thème principal faisant écho à des battements de cœur. Ça ne fera sans doute pas partie des musiques que l’on retiendra le plus de sa part dans son immense et magnifique répertoire musical, mais elles contribuent à la réussite du film. Les bruitages pour les cris horribles poussés par la créature sous ses différentes formes complètent bien ce travail sonore malaisant.


Enfin, le paysage de l’Alaska est très convaincant pour refléter ce désert blanc de l’Antarctique au blizzard si dangereux. La dangerosité permanente de l’environnement va de paire avec l’ambiance anxiogène du film, c’est également un cadre qui permet une photographie bien sympathique, des éclairages à la fusée éclairante aux couleurs si particulières, des transitions toutes trouvées avec le brouillard, un contexte scénaristique justifiant l’isolement des personnages, une référence sympathique au film la chose d’un autre monde qui y situait son action...


CONCLUSION : ★★★★★★★★★☆


Entre sa violence extrême et ses partis pris narratifs radicaux, The Thing n’a pas su convaincre le grand public comme les critiques spécialisées à sa sortie, ce n’est qu’avec les années que son ambiance si anxiogène, ses thématiques si appropriées au genre horrifique, ses effets spéciaux si ingénieux, sa mise en scène si maîtrisée, ses acteurs si impliqués… sont parvenus à lui conférer le statut de film culte que je lui reconnais tout particulièrement. C’est l’un de mes films d’horreur préférés, et pas seulement par l’intensité et authenticité de la peur qu’il véhicule.


damon8671
9
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le 28 oct. 2023

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