Le film rentre illico dans le vif du sujet:
John Carpenter y impose une mise en scène carrée, efficace, implacable lors d'un travelling avant qui nous fait pénétrer l'espace du décor du film la tête la première. Nous entrons dans le couloir d'un asile psychiatrique, dans les années 60, aux États-Unis - l'espace n'est éclairé que par les veilleuses des sorties de secours et par les éclairs d'un orage à l'extérieur. L'effet peut paraître classique et notamment galvaudé par le cinéma de genre mais ce très fort travail sur la lumière nous montre un espace mouvant et nous ancre d'emblée dans le fantastique.
Une jeune femme hurle, apparition furtive d'un spectre, assassinat hors champs, les pieds pédalent dans le vide avant d'y rester suspendus et inertes. La caméra rebrousse chemin en travelling arrière dans le même couloir de l'institut...

Le travelling avant de l'introduction à cet espace s'avère en réalité avoir été une caméra subjective. Nous sommes entrés dans le film par les yeux même de la créature fantastique qui hantera le film. Et le titre apparaît: The Ward...

S'en suit un générique absolument magnifique et terrible dans lequel on voit défiler des images (pour la plupart de vrais archives) de toutes les formes de "thérapies" psychiatriques, plus proches de la torture et de la barbarie que des thérapies actuelles.

Les années 60 marquent le tout début embryonnaire des thérapies alternatives et notamment des "camisoles" chimiques et le film d'ailleurs traite frontalement de ces recherches avant-gardistes au travers du personnage du Dr Stringer (nom à lectures multiples...) qui expérimentera sur l'héroïne du film, Kristen (Amber Heard) et sur ses "camarades" des thérapies plus cognitives et comportementales.

Car le film révélera assez vite qu'il s'inscrit davantage dans le champs du thriller psychologique, bien plus que dans le fantastique ou l'horreur pure.

D'ailleurs, la séquence suivante, nous montre une jeune femme en nuisette courant en plein soleil, à travers champs, en 1966, fuyant la police avant de mettre le feu à une maison et de s'effondrer au sol pour y être cueillie par les policiers. Un des plus beau moment du film, par ailleurs que l'incendie de cette maison que reflète le regard vidé de Kristen.

Puis le récit suit son cours à l'admission de la jeune femme dans un hôpital psychiatrique et les liens qui vont se nouer avec les autres pensionnaires avant que celles-ci soient décimées les unes après les autres par un "esprit frappeur", supposé être le fantôme vengeur d'une précédente pensionnaire bien déterminée à se venger de ses "colocataires"...

Passé le premier quart d'heure magistral, le film devient - en apparence - plus routinier jusqu'à une révélation finale (que beaucoup ont qualifié de "twist" à bien mauvais escient...) que les plus attentifs auront pressenti tant la mise en scène très terrienne de Carpenter ne cherche jamais vraiment à tromper son monde.

Ainsi, le film gagne clairement à être revu et son honnêteté intellectuelle en demeure évidente, le film ne s'inscrivant clairement pas dans toute cette vogue des "films à twist" bien souvent stériles ou idiots et son identité de thriller apparait comme - au contraire - comme clairement affirmée, le film jouant beaucoup sur les registres de la folie, du visible et de l'invisible, pour le spectateur autant que pour les héroïnes du récit.

Et ce final apparaît bien trop comme un élément clairement sensible tout au long du métrage pour qui aurait un minimum d'intuition et donc davantage comme une évolution logique du film plutôt que comme un "twist".

Si l'on considère cette évolution comme un effet "twist", il n'est pas étonnant que The Ward ait suscité une déception chez nombre de fans du maitre car l'on se trouve sans doute alors devant un pur effet de scénario qui rend le film très bancal et pourrait même apparaitre au spectateur comme une trahison.
Je ne partage pas du tout cet avis et je pense au contraire que tout le récit et la mise en scène du début à la fin ne cesse de nous mener à cette résolution.
Et par effet boomerang, le film révèle beaucoup d'éléments très forts auxquels beaucoup n'avaient peut-être pas prêté attention.

Et pourtant, dans des séquences comme celle des "sad people", des thérapies de groupe ou des croquis d'Iris, cette frontière vacillante entre le réel et l'illusion semble évidente...
Le film est bien davantage une oeuvre sur le visible et l'intangible, le réel et l'hallucination, la folie et la raison, qu'un simple film de fantôme lambda comme il s'en tourne à la chaîne.

Et il fort regrettable que ce très beau film de Carpenter ait été un peu hâtivement jugé comme une œuvre mineure, dans le meilleur des cas, et - le plus souvent - comme un ratage intégral.

Ceci étant dit, les vrais fans de toujours de l'oeuvre de Carpenter savent bien qu'il a étrangement toujours été victime de ces injustices autant critiques que publiques et que c'est bien souvent 10 ou 15 ans plus tard qu'on réhabilite son travail, lorsqu'on le soumet moins à une attente (le cinéaste s'est fait trop rare...) et surtout lorsque l'on prend le temps d'une analyse un peu plus pointue que de le limiter à du cinéma de pur divertissement ou à un film de trouille.

Des films aujourd'hui presque intouchables tels que The Fog, Prince des ténèbres, Starman ou même The Thing ont subit les mêmes attaques à leur sortie et désormais l'on sait non seulement qu'il traversent le temps avec une belle solidité mais surtout à quel point ils sont des œuvres remarquables dans leur mise en scène même...
Sans parler d'un film désormais culte et qui avait été totalement méprisé à sa sortie et jugé comme un pur film d'exploitation, voir un navet pour certains: Invasion Los Angeles, qui démontre à chaque nouvelle vision à quel point il était puissant et même visionnaire et combien il est devenu par la suite un véritable film "matrice" au même titre qu'Halloween, New-York 1997 ou L'antre de la folie.

On commence à peine à reconsidérer des films admirables tels que Vampires (et pourtant, sa grandeur sautait aux yeux !) ou Ghosts of Mars (Quel film !).

C'est pourquoi j'invite vivement tous les fans à aimer et à défendre le film rapidement afin de leur éviter d'avoir l'air crétin dans 10 ou 15 ans quand ce film sera devenu un petit cult classic du genre et qu'on l'aura disséqué au microscope afin d'en extraire la moelle artistique.
Car, plus que jamais, et en dépit de sa modestie d'artisan - avec ce film, comme avec les autres - John Carpenter creuse son sillon et continue d'enrichir une œuvre déjà considérable et de s'affirmer bien plus comme un auteur que comme l'habile faiseur auquel on le réduit encore beaucoup trop...

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le 12 août 2014

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Foxart

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