Tonnerres Lointains est l'un des films en couleur du cinéaste bengali Satyajit Ray.
Adaptant une fois de plus, après la trilogie d'Apu, une oeuvre du romancier Bibhutibhushan Bandopadhyay, le réalisateur narre ici l'histoire dun village reculé de la province pendant la seconde guerre mondiale. L'acteur qui incarne cet intouchable n'est autre que Soumitra Chatterjee qui incrnait Apu adulte dans la trilogie éponyme.
Ce qui différencie les deux oeuvres étant l'époque sur laquelle il s'attarde.
Plus prospère dans la trilogie qu'ici, les personnages ne sont pas du même milieu social.
Un bahmane, Gangacharan Chakravarti , installé avec sa femme Ananga, décide de profiter de la crédulité des gens du village en s'octroyant les rôles d'enseignant, de médecin et de directeur spirituel. C'est un imposteur qui abuse des droits de sa caste, il ne connait pas du tout le sanscrit et démontre là une dégradation inéluctable des valeurs traditionnelles de l'Inde.
Ce qui m'a frappée dans ce long métrage c'est l'attention qu'il porte à la main. La main en tant qu'outil de travail, lave le linge, organe qui caresse, qui cuisine...Le premier plan est celui d'une main dans l'eau, le dernier celui d'une autre tendue vers un bol de riz.
Dans ce film très sensuel, au sens premier du terme qui ne se limite pas à l'érotisme, la nourriture offerte aux dieux, à ses représentants, est magnifiée.
Seulement voilà l'Histoire rattrape cette population qui n'a rien demandée. Nourrie en partie par sa voisine la Birmanie, elle voit ses approvisionnements suspendus par la guerre depuis que les japonais se sont emparés du pays et commencent leur incursion dans les régions voisines.
D'un point de vue social, ce film a ça de fascinant que les conventions et l'ordre social sont renversés et ne comptent plus. Le marchand, l'épicier deviennent les véritables notables, les gens importants du village au détriment de nos héros qui voient leur sibsistance menacée.
Face à la nécessité de survivre, les priorités changent.
Chacun lutte pour assurer une maigre ration quotidienne … Survivre devient une obsession.
Une jeune femme fraîchement mariée, compagne de jeu d'Ananga au début du film va jusqu'à se vendre à un homme pour se nourrir.
La cinéma de Ray pose la question de l'humanité de chacun. Comment conserver sa compassion, sa dignité, quand notre survie est en jeu ? Quand toutes les valeurs dans lesquelles on a baigné s'éffondrent inéluctablement ?
Tout en pronant l'autossufisance alimentaire face à la Birmanie, Ray montre que l'équilibre règne au sein du village àù chacun y a sa place et sa fonction.
En tant qu'occidental(e), ce qui frappe c'est la condition de la femme à l'intérieur de la communauté, de la famille et plus généralement dans la société.
Elles n'ont aucune reconnaissance mais il est clair que pendant cette famine, ce sont elles qui assurent la survie.
Ananga va travailler et manque de se faire violer, d'autres se prostituent comme dit plus haut... elles bravent les interdits, font face au danger réels (tigres, hommes libidineux...) ou imaginaires (punitions divines). Elles restent dignes, superbes et humaines quand les hommes tuent, violent pillent et saccagent.


Le film a reçu l'ours d'or à la Berlinale.
Rawi
8
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le 27 avr. 2014

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Rawi

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