Incroyable de constater au regard des films de Jacques Tati à quel point le cinéma sonore n'est pas seulement un moyen utilitaire pour le réalisateur de fabriquer des films mais qu'il constitue en priorité la quintessence de son Oeuvre. Jour de Fête, Mon Oncle, Playtime... autant d'écrins cinématographiques essentiellement burlesques articulés autour d'effets visuels d'une redoutable précision, doublés d'une multiplicité des valeurs de plans tout à fait prodigieuses ( utilisation colossale du grand angle et usage audacieux du plan rapproché voire du close-up principalement ).


Avec Trafic Jacques Tati reprend pour le dernière fois son éternel personnage de vieux garçon à l'imper beige et au parapluie encombrant : l'inénarrable Monsieur Hulot, chien cocasse perdu dans le jeu de quilles du monde des congrès automobiles et du travail à la chaîne. Dès l'introduction ( cousine de celle des Temps Modernes de Charles Chaplin ) la virtuosité ahurissante dont fait preuve le réalisateur saute aux yeux : science du décor dans la droite continuité des expérimentations scénographiques du chef d'oeuvre Playtime, effets sonores amplifiés et/ou spatialisés, codifications des couleurs et borborygmes incessants...


Trafic, sciemment incompréhensible dans ce qu'il cherche à verbaliser, s'ancre sans compromis dans une veine tour à tour expérimentale et burlesque proche du slapstick mâtiné de pantomime. En jouant sur différentes échelles et différentes sources sonores et musicales ( la bande originale de Charles Dumont, mélange de musique concrète, de rock seventies et de sifflements facétieux, est admirable ) Jacques Tati disloque dans le même mouvement de technicité les formes du langage humain ( verbe, corps, expressions onomatopéiques ) pour mieux faire de ce voyage en terre hollandaise un gigantesque cauchemar en forme de Tour de Babel.


En un mot comme en cent la technique du film est proche du miracle : monté et filmé de manière pratiquement millimétrée, joué comme un film muet et mixé comme une installation foraine redoutablement séduisante Trafic est une Oeuvre de cinéma à part entière, évoquant les audaces du Week-end godardien ( mêmes couleurs saturées, mêmes larsens sonores, même densité des figures captées par la caméra, même manifeste socio-économique...). Un film annonçant également le Themroc de Claude Faraldo, autre film à l'aune d'une France pompidolienne pour le moins effrayante a posteriori. Unique.

stebbins
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le 1 oct. 2019

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stebbins

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