Il y a, dans chaque vie, si peu de vie. Il y a, dans chaque amour, si peu d'amour. Il y a des souvenirs, parfois effacés, inventés, tiraillés entre leur propre existence et ce que nous voulons bien en garder. Pour Paul il y a trois souvenirs - et dans ces trois souvenirs, il y a tous les autres. C'est drôle, comme à chaque film de Desplechin, je ressors avec quelques années de plus. Comme je comprend que doucement nous rappellent...
Ça ne tient à rien, jamais à rien, ce que l'on garde des choses. Paul a tout gardé. Et il se souvient. Pendant deux heures sublimes, déchirantes et merveilleuses, il se souvient. Il y a Esther partout. On comprend tout de suite que c'est le grand amour. On sent dès les premières secondes son parfum de fin du monde, Desplechin filme son visage et rien ne l'abime, ni les lumières rouges, ni les pleurs qui ne cessent de couler, ni l'espace, ni le temps, il la garde intacte. Elle aime Paul, lui l'aime, ça durera 6 ans. Ça durera toute une vie. On n'arrête jamais d'aimer. On arrête jamais d'écrire. On n'arrête jamais d'être en vie.
Je n'ai rien à dire sur Trois souvenirs de ma jeunesse, car il n'y a rien à ajouter. Tout est là : ce que l'on peut jamais montrer de la vie, ce que l'on ne peux figer de l'amour, le mouvement du temps et des corps et l'enfance à jamais perdue. Tout y est et tout me manque - comment se relever d'un film comme celui ci ? Comme après Rois et Reines, les mots me manquent, c'est vrai. Ou alors ils débordent. Les uns après les autres ils réclament une sortie, une page, un visage où s'engouffrer. Ils s’entremêlent. Comment parler de ce qui nous touche profondément ? Comment parler d'aimer toujours, ou jamais, des voitures et des coquards qui s'enchainent à la vitesse de la lumière ? On essaye mais y parviens pas. Je crois que je n'y parviendrais pas. Je me souviens de cette phrase. Je me souviens du visage d'Esther et de celui de Paul mais c'est presque effacé. C'était il y a longtemps, il y a une minute encore,
"Est-ce que quelqu'un t'as déjà aimé plus que sa vie ?
Moi j'aimerais t'aimer comme cela. "