Mel,


A la fin de ton dernier effort, alors que les crédits déroulent et que le générique final s'élève, je n'ai pu m'empêcher de penser que l'industrie du cinéma était parfois bien cruelle et injuste avec toi.


Il est en effet bien triste de constater que, devant la caméra, ta carrière décline. Lentement, certes. Mais inexorablement. Ce n'est pas de ton fait, bien sûr. Tu es toujours le même, au fond. Mais ton nom semble parfois avoir le même effet que l'odeur de la chaussette sale irradiée, comme si le milieu avait l'intention de te faire payer, jusqu'à la fin des temps et au delà, les frasques, les excès, les mots de trop. Cela fait maintenant longtemps que l'adjectif Mad a quitté Max pour venir porter préjudice à Mel, et devenir synonyme de tes débordements, de tes dérapages, du prosélytisme dont on t'accuse, de tes outrances alcoolisées et dépressives passées.


Les bien pensants estiment que chacun a droit à une seconde chance. Sauf toi, semble-t-il. Au point de ne plus apparaître que dans des projets vaguement référentiels, se réclamant de la série B, parfois pas trop mal fagotée, parfois paresseuse et manquant clairement d'ambition. Expendables 3, c'était finalement pas mal, mais un peu fatigué, non ? Et Machete Kills ? Oui, c'était bien fun, mais il serait hypocrite de dire que c'est à la hauteur de ce que tu as fait par le passé. Et il y a d'autres projets, comme celui de Jodie Foster, ta dernière amie à Hollywood, celui où tu causais à une marionnette en forme de castor, là... C'était bien, et le personnage était à l'opposé de ce que tu représentais jusqu'ici. Même celui là, de film, ne t'aura pas remis en selle, malgré sa qualité.


Tu as même essayé de faire amende honorable et d'épouser un rôle principal qui te ressemblait. C'était y'a pas si longtemps, souviens-toi. Ca s'appelait Blood Father, c'était réalisé par un Français. Tu fendais l'armure et demandais métaphoriquement pardon, que toutes ces bêtises, c'était derrière toi. Résultat ? A nouveau, le public t'a posé un lapin. Merde...


Il n'y a plus que derrière la caméra que tu peux t'exprimer et creuser ton propre sillon, finalement. Et encore. Si on a loué ton Braveheart, à juste titre, dès La Passion du Christ, les premières critiques ont déferlé, plus ou moins... Plutôt moins que plus, à dire vrai, fondées. Car finalement, parler de religion, c'était, à l'époque déjà, pas très bien vu. Tu imagines bien que pas mal de gens se dressent sur leurs ergots et s'empressent de voir des attaques ou des glorifications prosélytes. Même chose avec Apocalypto, en pire, financé par Tarak Ben Ammar, le bailleur de fonds spécialisé des vieilles gloires en fin de parcours. Mais quand même, qu'est ce qu'elle était bien, ta course poursuite en pleine jungle !


Excuse-moi, Mel, s'il te plaît... Je constate que je dérive, là. Car au début de cette lettre, je voulais simplement te dire que ton Tu Ne Tueras Point, c'est bien, comme tous tes opus précédents dont il reprend, finalement, la structure et la figure principale, celle du héros sacrifié. Et que tes principaux commandements de ta petite bible personnelle, tu les connais sur le bout des doigts.


L'immersion et le viscéral, tu privilégieras, est le principal. Et le plus important quand on prétend illustrer la guerre dans toute sa folie meurtrière et destructrice. Tu livres en effet, dans Tu Ne Tueras Point, des assauts dignes du débarquement, sur les plages normandes, du Soldat Ryan. De mémoire, tu ne t'es que rarement illustré dans le genre. Ah, si. Il y a bien Gallipoli, que tu as fait dans ton jeune temps. Et Nous Etions Soldats, où paraît-il, tu aurais donné un coup de main à la réalisation. En tout cas, ton Tu Ne Tueras Point est spectaculaire et sans concession dans la représentation de sa violence, dans son aspect purement graphique, comme dans La Passion du Christ, dans sa chorégraphie guerrière rarement vue à l'écran. Les images chocs s'enchaînent, ainsi que les plans travaillés comme pour en faire ressortir une sorte de beauté macabre, morbide et cruelle. Ta mise en scène est à nulle autre pareil, comme dans Apocalypto, une fois encore. Terrassante, bouleversante, tout en dénonçant l'absurdité du conflit, comme dans La Ligne Rouge, ou encore Mémoires de nos Pères, les soldats devant, là aussi, conquérir une simple falaise qui ressemblerait presque à un Golgotha guerrier sous l'oeil de ta caméra.


Tu ne Tueras Point est tourné entièrement vers son héros, et Ton héros, tu porteras. Celui-ci est pur, immédiatement attachant, tant dans ses attitudes un brin naïves que dans sa force de caractère et sa force intérieure. Andrew Garfield était le choix idéal, tant son allure est fluette, tant sa foi semble l'habiter. Certains craindront à l'évidence ses convictions basées sur la chrétienté dans laquelle il baigne. Mais Tu ne Tueras Point, via une scène centrale dans le questionnement de ce personnage, tendra à poser son regard sur son positionnement moral, dans une interrogation que lui pose son épouse sur la part d'orgueil de ses actes. Dans l'affirmation de ses croyances. L'introspection se fait jour, avant, dans la deuxième partie du film, de confronter les contradictions de son héros hanté et de le plonger dans l'horreur du conflit. Là où il s'évertuera, en passant d'un cadavre à l'autre, en se faufilant, à recoller les morceaux de vie et de corps en miettes, mission dérisoire et presque vaine à l'échelle d'une guerre totale. Et l'on se prend à l'admirer, à avoir peur pour lui, à trembler, à l'encourager et vouloir l'aider à arracher un homme de plus au destin funeste à lui réservé, véritable illustration de l'image du sacrifice qui hante ta filmographie en tant que réalisateur.


Pour tes quelques maladresses, pardonné tu seras, car en effet, comme ton héros, du reste, ta volonté de faire pour le mieux pourra parfois te nuire, comme ce plan, en pleine bataille, de renvoi de grenades, façon coup droit dans un obscur tournoi de tennis local, le seul plan clairement raté du film. Ou cette romance qui peut paraître au premier abord un brin naïve, avant de réfléchir un peu et de se souvenir que finalement, l'histoire prend place en toute fin des années trente aux Etats-Unis et que l'on s'attendrisse sur l'innocence de cette relation et son côté très léger du premier émoi qu'elle dépeint. Quant aux classes que tu mets en scène, un peu à la manière de Full Metal Jacket, tu sembles éviter la comparaison avec le Maître, comme si tu la savais perdue d'avance, en y injectant un humour qui pourra en déranger certains, comme tu pouvais, au début d'Apocalypto, rire avec tes indiens en leur faisant faire des mauvais tours à base de couilles qui grattent.


Mel, la seule chose qu'on pourrait réellement te reprocher, en tant que réalisateur, c'est de suivre tes idées et de bâtir une filmographie cohérente. Car finalement, tes trois films des années 2000, sont tissés du même fil, de la même thématique, et encourent dès lors des critiques étrangement similaires. Car tes nombreux détracteurs hurleront encore une fois, certainement, à l'outrance et au grotesque, à un nouveau tract tendance catho. Et on te reprochera, sans doute, l'idéologie que l'on t'accuse de déployer et de glorifier. On pointera, enfin, comme à chaque fois, ton sado masochisme, l'hypocrisie de ton propos. Mais, à nouveau, La critique, tu ignoreras. Car Mel, si ton idéologie est à ce point douteuse et nauséabonde aux yeux de certains, si tu continues à filmer des oeuvres de cette trempe, sûr que je t'écrirai, à nouveau, une lettre enflammée en forme de déclaration d'amour.


Avec toute mon admiration,


Behind_the_Mask.

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le 9 nov. 2016

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