Une satire, mine de rien, extrêmement acerbe de l'Amérique de George W. Bush et de ses valeurs

Adapté du roman paru en 2012 : Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn, le film ne m'a pas, moi qui suis un familier des salles obscures, paru de prime abord particulièrement original. C'est vrai qu'on a vu, ces dernières décennies (et ça remonte au moins à Voyage au bout de l'enfer, donc 1978), pas mal de films traitant de la difficulté que peuvent avoir les soldats, de retour du front ou d'un théâtre d'opérations guerrières, à se réadapter à la civilisation occidentale et vie de tous les jours. Même si leur corps est rentré en bonne forme (ce qui n'est pas toujours le cas, hélas), leur tête est encore, au moins en partie, là-bas... où ils ont vu, subi et fait des choses effroyables, dû tuer pour ne pas être tués, tuer parce que c'était leur... job, que la hiérarchie du pays les envoyait là-bas pour ça, dans la défense des intérêts de la "patrie", c'est à dire des gens de l'arrière.
C'est vrai aussi que le film d'Ang Lee dénonce et de façon cinglante, mais cette dénonciation est, en surface, assez enveloppée. En voici le pitch : Un petit groupe de soldats américains engagés, sous la présidence Bush, dans la guerre de "pacification" de l'Irak en fin 2004 (après la chute en 2003 du régime mis en place par Saddam Hussein, puis l'exécution de celui-ci) est réexpédié aux USA et plus précisément au Texas, l'Etat d'origine de la plupart d'entre eux, pour quelque deux semaines, parce que tombés dans une embuscade tendue par des terroristes irakiens, ils s'en sont sortis en faisant preuve d'un courage héroïque, notamment l'engagé "volontaire" Billy Lynn (19 ans). Pendant cette espèce de mi-temps, les autorités texanes vont les trimballer (en limousine grand luxe) d'un lieu à un autre, les exhiber dans des cocktails et autres manifestations commerciales, artistiques ou sportives, etc., avant qu'ils ne repartent pour l'Irak reprendre leur boulot de pacification (et de défense des intérêts américains).
Réflexion sur l'héroïsme et son exploitation, satire du système, satire d'une société des spectacles, d'une Amérique mercantile et cynique, implicite dénonciation de la schizophrénie dont souffre la civilisation judéo-chrétienne (comme récemment dans le Tu ne tueras point de Mel Gibson)...
C'est un peu de tout ça (des clichés, disent certains) que traite le film.
Ok, le propos n'est pas vraiment neuf, mais le questionnement sur le sens de tout ce "cirque", sur la vie, la société et les valeurs américaines est quand même extrêmement aigu, profond, déstabilisant... comme est extrêmement brillante la réalisation d'Ang Lee (bien que certaines scènes de guerre m'ont semblé très similaires de celles montrées dans American Sniper, pour ne rien dire de celle du combat à mort au couteau que, perso, j'ai trouvée horrible et insoutenable).
Les prises de vue sont bonnes. Et le casting est franchement top avec, dans le rôle éponyme, Joe Alwyn (un nouveau venu convaincant et qui ne manque pas de charisme), entouré de Kristen Stewart, toujours aussi bonne, Garrett Hedlund : impeccable et Vin Diesel : correct.
Le film ne peut être comparé au récent et très spectaculaire Tu ne tueras point, les deux réalisateurs n'ayant pas du tout la même vision du monde, de l'Amérique et de ses valeurs.
Le Ang Lee attaque, conteste l'Amérique du fric, de ceux qui n'en ont jamais assez (et qui font du fric de tout), de ceux pour qui la fin justifie les moyens, de ceux qui sont persuadés de détenir LA vérité, de ceux qui sacrifient à leurs idées la vie d'autrui. Et c'est un bien meilleur film que je ne l'avais initialement pensé.