Janvier 1917.



Sur le front, cinq soldats, mutilés volontaires, sont conduits jusqu’au no man’s land entre les tranchées allemandes et françaises, pour y être abandonnés. Parmi eux, le jeune Manech s’est contenté de lever l’incandescence d’une cigarette dans la nuit et de se laisser transpercer la main par l’ennemi. Peine de mort.
Trois ans plus tard, Mathilde est toujours à la recherche de Manech, officiellement mort au champ de bataille. Mais s’il était mort, elle le saurait. De tout son être. Il faut qu’il soit vivant. Alors Mathilde cherche. Enquête et grignote des lueurs de vérité où elle peut.


Adapté du livre éponyme de Sébastien Japrisot, Un Long Dimanche de Fiançailles éloigne le temps d’un film Jean-Pierre Jeunet des petites mécaniques, physiques ou psychologiques, de la vie, et l’oblige à évoquer l’amour comme un sentiment plein, unique, un monde à part entière, prenant vie de lui-même sans s’encombrer d’engrenages et de liens incongrus, se contentant de l’évidence même de son existence. L’oblige aussi à creuser les drames et les conséquences de la guerre de manière effective, sans se contenter, comme dans Le Bunker de la Dernière Rafale ou Delicatessen, d’en faire un pittoresque et sombre décor d’arrière-plan, mais bien un personnage d’angoisse et d’horreur, carnassier, impitoyable et aveugle. Les engrenages ici, ce sont la justesse d’écriture du scénario de témoignage en témoignage, le timing narratif virtuose des séquences de souvenirs qui se font échos pour raconter chaque fois un peu plus de l’histoire.


« Chaque fois que sa blessure l’élance, Manech sent le cœur de Mathilde battre dans sa paume. »



Romance par-delà les tranchées,



Un Long Dimanche de Fiançailles trouve son souffle dans les séquences qui racontent Manech et Mathilde, le timide solide et entier, la boiteuse sourire et joie, la complicité depuis l’enfance, les promesses, les secrets. C’est tout un tissu de l’amour naissant qui ouvre la vie grande devant l’avenir en l’emplissant d’espoirs scintillants. Quand Manech part à la guerre, quand les appelés sont partis les uns après les autres, en 14, en 40, ce sont des milliers de femmes qui ont vu leur vie s’arrêter, des milliers d’histoires d’amours brisées là, emportant les rêves de milliers d’enfants jamais nés. La tension, l’enjeu du film, sont là, dans cette romance universelle de simplicité. Quand Manech disparaît, il ne reste rien d’autre à Mathilde que l’espoir de le revoir, l’obstination à savoir, pour la lever, continuer de vivre.


« Avec des si on metrrait un cachalot dans une boîte d’allumettes.
- Mais sans si, il ne reste que la corde pour se pendre. »

L’enquête de Mathilde devient sa vie.


Une vie qui tourne autour d’une grise journée de janvier dans le no man’s land entre les tranchées, à Bingo Crépuscule.


Le réalisateur français y fait son Rashômon : multiples points de vue, la même séquence racontée par plusieurs personnages. En pleine guerre, dans l’aube hivernale sur le no man’s land, chacun raconte ce qu’il a vu, et petit à petit Manech d’abord mort, s’en est sorti. C’est là, dans les interventions nombreuses, que le cinéaste impose son cinéma : dans la galerie de gueules et les effets spéciaux soignés. Des poilus des tranchées à leurs supérieurs, des planqués de l’arrière aux femmes qui survivent, c’est casting de folie et gueules au couteau. C’est Paris d’antan aussi : superbe plan du quartier des Halles, pavillons Baltard debout, merveilleux départ en gare d’Orsay. Les petits bonheurs du film tiennent autant de la réalisation débarrassée des tics du réalisateur que des traces évidentes de sa patte laissées là.


Après la réussite d’Alien : Resurrection et le succès du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, Jean-Pierre Jeunet confirme son statut de réalisateur minutieux et efficace, tout en s’ouvrant sur une œuvre moins personnelle avec succès. L’adaptation a de belles réussites dans ce qu’elle retient du livre : l’espoir indéfectible qui anime Mathilde, il faut bien, sinon elle se laisserait mourir, et l’enquête sur les cinq condamnés. Probablement là que le réalisateur a été séduit, dans la détermination du personnage principal qui œuvre à son bonheur, mais le film fonctionne surtout grâce à l’équilibre entre cet aspect très linéaire de la narration, indispensable, et



la poésie des petits riens qui racontent les hommes



et qui fait de la bienveillance et de l’amour.

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4

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