J'adore Gabin, j'adore Belmondo, pourtant j'ai du mal avec Un singe en hiver. Apparemment, plusieurs producteurs ont refusé de financer le film car ils le réduisaient à l'histoire de deux alcoolos. Ben ils n'avaient pas totalement tort...
Car sous couvert de fustiger les bien-pensants et les hypocrites, de défendre la liberté de l'esprit et de chanter la joie de vivre, Boyer, Verneuil et Audiard érigent finalement l'ébriété en goûteux laissez-passer pour l'allégresse, la clairvoyance, la dignité et l'accomplissement. On a le droit de se taper le cul par terre en écoutant beugler Gabin et Belmondo au clair de lune, mais on a aussi le droit de trouver le propos franchement simpliste et maladroit. Surtout quand on sait à quel point l'alcoolisme peut avoir des conséquences radicalement inverses...
Comment alors expliquer le succès populaire du film ? Cela tient peut-être simplement aux propriétés cathartiques du cinéma, au fait que l'être humain accepte facilement de voir des acteurs mettre un village sens dessus dessous quand il est dans une logique de divertissement, alors qu'il détournera le regard, accélèrera le pas ou même composera le 17 lorsqu'il croisera lui-même deux poivrots dans une ruelle la nuit. Cela expliquerait que personne ne trouve à redire lorsqu'on remet une gamine de dix ans à un alcoolique notoire incontrôlable et qu'on fait passer ça pour un happy end.
Voilà pour les (grosses) réserves. Parce qu'il y a aussi, heureusement, de très bonnes choses dans Un singe en hiver. L'introduction remarquable, autant dans l'interprétation de Gabin que dans l'intelligence du montage. Le personnage de Suzanne Flon, que Boyer et Verneuil ont la clairvoyance de présenter en femme aimante et inquiète pour son mari, alors que le sujet du film aurait pu la transformer en sorcière castratrice. La malice de Noël Roquevert dans un rôle à sa mesure. Enfin les thèmes de Michel Magne, parfaitement dans le ton. Si seulement le film ne s'était pas perdu en route...