« Under The Skin » a déjà sa réputation de top film 2014 ; Jonathan Glazer, qui avait été peu remarqué avec ses « Sexy Beast » et « Birth » devient tout d’un coup le nouveau Mattew Barney.

Si on ajoute à cela que le film lui-même se présente comme une expérience difficile à décrire, ça va pas être évident du coup d’essayer d’en dégager un retour argumenté.
D’ailleurs est-ce légitime d’essayer de creuser et de gloser autour d’un film qui est avant tout une expérience sensorielle et intérieure ? Ben oui si on veut identifier les raisons d’être dudit film et les raisons de payer 10 € sa place.


Un peu d’Histoire :


Le film commence par un œil, puis des images abstraites, représentant des surfaces glossy. On comprend que l’on regarde un processus de fabrication. On enchaîne par la suite sur Scarlett Johansson à poil qui dépouille les fringues d’une pute morte au milieu d’un studio blanc surexposé.

On comprend ensuite que Scarlett traverse Glasgow et ses environs en essayant de faire entrer dans sa camionnette des mecs à ramener dans sa maison abandonnée qui renferme en fait une pièce étrange d’un noir sans limites dans laquelle les hommes à poil disparaissent dans une mélasse. Toutes les actions de Scarlett sont suivies par un motard inquiétant dont la fonction semble de nettoyer toutes les traces des méfaits de la femme.

En fait, en cherchant un peu (ou en lisant ce que tout le monde raconte) on trouve que le film est une adaptation d’un roman de SF (voire du lol film de Bernard Weber : http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=109257.html) se passant en écosse et racontant une invasion extraterrestre du point de vue d’un extraterrestre à forme humaine féminine. Ceci n’étant absolument jamais explicité dans le film, qui n’accorde d’ailleurs jamais un plan au ciel étoilé ou à un éventuel ailleurs extraterrestre, je ne me risquerai pas à parler du personnage de Scarlett comme d’une extraterrestre mais bien d’une créature non humaine possédant un antre d’un autre Monde. Un prédateur pour l’Homme.

Il s’agit donc d’un presque film d’extraterrestre dans lequel le Monde humain nous est plus étranger que la créature venue d’ailleurs. Voilà. C’est le projet esthétique du film.

Classique et déjà vu et revu mille fois : le prédateur (sexuel) découvrira au travers de l’un de ses victimes la possibilité de la bienveillance. Ouvrant une porte non pas sur le noir de son antre mais sur la lumière d’un ciel d’Ecosse l’hiver ; quelque chose touchant à la grâce.


Le vis du sujet


En fait, si on reprend littéralement ce que montre le film et ce que l’on sait du roman qui l’a inspiré (sachant d’autre part que le cinéaste est un clipeur issu du cinoche arty) alors on comprend vite que ce film est avant tout l’histoire d’un regard.
Au départ ce regard est neuf, confronté aux formes indistinctes des premiers plans ; puis peu à peu il va traverser le monde humain avec un regard hybride : à la fois entomologiste, enfantin et aussi celui du voyeur assassin. L’histoire d’un regard de sa naissance à la mort.

La tension du film vient donc bien du fait que le spectateur est mis en empathie et en identification avec une créature d’ailleurs qui lui est nocive et avec laquelle il ne pourra jamais complètement partager ses motivations.
C’est pourquoi finalement, l’apparition de l’empathie dans le regard de l’autre dans le récit est le pivot de tout. Il est la seule raison d’être d’un regard qui aurait mécaniquement tué tous les hommes autour, un peu comme la succession de tuerie du « Elephant » d’Alan Clark.


L’étrange créature du lac noir


Le sujet le plus ressassé sur ce film est bien la présence de Scarlett Johansson. Petit Buzz malsain sur le web, promo libidineuse à base de promesse (tenue) de la voir à poil, tournage en caméra cachée chez les White Trash… Tout pour dégoûter le cinéphile normal en fait.

Cependant le résultat reste honnête même si je ne peux mettre de côté certaines réserves. Scarlett Johansson est questionnée directement dans sa condition IRL de sex-symbol. D'actrice valant au moins tant par l’excitation sexuelle potentielle qu’elle est capable d’insuffler à l’écran qu’à ses talents d’artiste interprète. Si d’aucun me trouve ici excessif, il suffit de se souvenir de sa manière de jouer et la façon dont le même corps est filmé dans « Ghost Story » pour comprendre que la Scarlett d’aujourd’hui est une icône sexuelle fabriquée. On compare avec le dernier Besson ?

Scarlett Johansson est donc (soit disant) par nature étrangère à l’humanité. Le contraste fonctionne d’autant plus qu’elle y est confrontée à un monde de prolos ; le tout ponctué de caméra cachée où on la déguise en pute pour qu’elle s’intègre mieux au décor... Le projet contient donc une première faute de goût : en choisissant ce dispositif, le cinéaste commet l’erreur de réduire Scarlett Johansson en tant que personne à un statut réifié ; et d’autre part, il stéréotype le peuple qui va habiter volontairement ou non ses cadres. Rien que pour ça, on ne pourra pas dire que ce film est une pure merveille. Pour exemple, « Her » de Spike Jones questionnait Scarlett Johansson de la même manière mais avec beaucoup plus de finesse, de tact et avec un résultat plus net sur le sujet.


Le développement :


Il s’agit donc pour le cinéaste et son équipe de rendre le Monde humain dans toute l’étrangeté qu’il peut avoir d’un point de vue parfaitement neuf.
Pour cela, Jonathan Glazer utilise plusieurs moyens :

1- La photographie : Les images sont magnifiques, les cadres vont chercher des éléments de décors qui sont souvent observés soit de très loin soit de très près. Avec une fixité ou au contraire des travellings qui rendent le mouvement tout sauf humain. La caméra elle-même est rarement fixée à hauteur d’homme ou de nombril (ce qui est une position neutre et couramment usité) mais va plutôt chercher des cadrages incongrus et littéralement inhumains. La lumière enfin, Le chef op va chercher des détails dans les basses lumières qui sont tout bonnement hallucinants, il y a des choix délibérés de sous-exposition qui maintiennent un degré satisfaisant d’information qui fonctionnent à merveille. Techniquement donc, les yeux se régalent.

2- Le son : Alors là je suis désolé, on a le droit de trouver les compositions expérimentales avant-gardiste de bon goût mais concrètement l’idée de faire un son chelou pour rendre une ambiance bizarre, c’est devenu has been depuis les films de David Lynch des années 90. Quand on fait ça aujourd’hui, il s’agit soit d’un travers de film de lycéen, soit d’une petite paresse artistique. Le mixage est très fin certes, la prise de son très propre ok, mais l’habillage vain à mon sens (toutes les autres critiques sont dithyrambiques à ce sujet pourtant…).

3- Les décors : Les décors réels (rues de Glasgow, etc…) sont rendus étrange de par le cadrage nous l’avons vu, mais l’étalonnage donne une image très grise de l’ensemble et un rendu des couleurs des visages et des vêtements très réalistes. Je trouve que l’alliance des deux participe à ce que le film peut avoir de meilleur dans la construction de son ambiance si particulière. L’antre de la créature quant à elle se distingue par la disparition des frontières du décor : nous sommes en fond noir ou en fond blanc sans notion de distance ou d’horizon. Si on ajoute à ça des textures dotées d’un noir hyper profond et un mixage qui d’un coup étouffe les sons nous avons un résultat déroutant comme il faut.

4- Le rythme : Le montage pose un vrai problème dans ce film car, plus que tous les autres éléments, c’est lui qui est le moins constant selon les régimes d’image (antre de la créature, scènes de fiction, scènes de caméra cachées). En même temps, il semble toujours neurasthénique et mis à part quelques passages très réussi (la scène de noyade puis le bébé ; Elephant Man à poil qui déambule dans des jardins privés) est assez poussif. On est ok pour dire que jamais il ne semble naturel en tout cas. Si c’était le but, bravo, mais c’est un peu chiant quand même.

5- Les relations sociales : il est très difficile de deviner ce qui lie les humains entre eux. Même les personnages sur lesquels on s’attarde ne sont pas clairs : ont-ils une famille ? Des amis ? Qu’est-ce qui fait que les humains se retrouvent dans les rues commerçantes ou en boite ? Les humais semblent en fait très seuls, isolés même lorsque les corps sont en contact. Le seul plan du bébé abandonné sur la plage est déchirant : tous semblent souffrir du froid et de la solitude au milieu d’images grises, du crachin et de la nuit écossaise. La position fœtale des victimes de Scarlett Johansson ou son altruisme sont des réponses différentes à cet abandon de l’humanité par elle-même.

Lorsque la créature est confrontée à sa dernière victime, elle s’ouvre à une humanité qui semble finalement bien étrangère au monde humain (voir la cruauté de la fin par exemple). C’est d’ailleurs la source d’une tragédie un peu trop prévisible : son geste de compassion revient à baisser sa garde et elle finira donc détruite par ce que l’on trouve de pire en l’homme (la frustration sexuelle puis la cruauté). La mise au bucher de Scarlett Johansson est lourde de signification.


J’aime / J’aime pas


J’ai dit tout le bien que je pensais de la superbe scène de bord de mer. On pourrait aussi ajouter que la narration est particulièrement bien réussie. Je ne sais pas quelle méthode d’écriture a utilisé Glazer mais la manière dont les informations arrivent au spectateur les unes après les autres est parfaitement rythmée et permet de maintenir l’attention sur le récit malgré un montage un peu ardu. Par exemple, le sort réservé aux proies de Scarlett Johansson est à chaque occurrence un peu plus dévoilé et en même temps le spectateur est à chaque fois rassasié. La première victime disparaît en une simple ellipse qui suffit à créer un suspens autour du danger que peut représenter la créature puis le second nous est montré nu en érection (ce qui interpelle forcément) pour finalement disparaître à son tour en laissant d’autres questions…

Maintenant voyons exemple de séquence foirée :

Nous l’avons vu, 3 types d’images sont à l’œuvre. Je ne sais pas si c’est dû aux aléas des caméras cachées mais certaines scène de dialogue en voiture (la première en fait surtout) sont absolument détruites par le montage : les champs-contrechamp n’ont aucune rigueur, aucun rythme, les coupes se font au milieu des mots et nous passons un moment franchement désagréable.


On se rhabille


En conclusion, « Under the Skin » est plus ambitieux que « Birth » mais il est aussi bien plus raté.
Les audaces et le projet ont pour eux d’aller chercher de nouvelles formes et un discours un peu original et pertinent mais l’ensemble reste quand même un peu chiant. Parfois même obscure (en tout cas, pour ma part, j’ai pas compris la scène de restau et de part de gâteau… Est-ce l’ouverture aux sens ? Inutile en tout cas il me semble). En même temps, on a l’impression que le cinéaste ne va pas au fond de l’audace que promet le film : on aurait aimé par exemple que le dernier plan soit plus jusqu’auboutiste et plus patient (j’ai beaucoup pensé en voyant ça au plan final de « Damnation » de Bela Tarr).

En effet, si ce film est plus expérimental que le chef d’œuvre « Birth » qui le précédait, ce dernier reste finalement plus radical dans sa perfection classiciste et laissera toujours moins de prise aux reproches. Aussi minimes soient ceux que l'on peut avancer à « Under the Skin ».
Dlra_Haou
8
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Créée

le 13 août 2014

Critique lue 636 fois

3 j'aime

Martin ROMERIO

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