Une affaire de famille est un film qui avance caché et dévoile simplement ses buts, en les atteignant.
Chronique assez lâche d’une famille Japonaise contemporaine, communauté autarcique avec ses propres règles et rites. Ce microcosme familial composé de trois générations (la grand-mère, deux petites-filles, le mari de l’une d’entre elle et leur fils) est à peine perturbé par l’arrivée d’une jeune fille. Très vite recueillie, elle dont la disparition n’étonne même pas les parents biologiques qui, nous l’apprendrons assez rapidement, entre non-dits stoïques et regards inquiets, la battait. Semaines et mois passant, la quotidienneté s’installe et de l’extérieur très peu de choses finalement. Les différents lieux de travail de chacun, des supermarchés où l’on commet des larcins, premiers liens entre père et enfants. Les sorties de la cellule familiale sont ici nécessaires dans l’unique but de sa préservation.
Le cinéma Japonais a souvent été envisagé sous un prisme purement topographique particulière aux lieux : lignes géométriques claires, plans composés et effets de cadre dans le cadre inféodent jusqu’à la mise en scène même de ces films. C’est ici dans un rapport tout particulier au temps que se met en place la petite comédie humaine du film de Kore-eda. La caméra traque, et atteint, dans son image étriqué le réel affranchi des contingentements de mise en scène. Une scène exemplaire de ce point de vue est celle où, pour la première fois du film, les parents se retrouvent seuls dans la maison. Sous un lourd après-midi d’été, ils mangent des nouilles froides que l’on apprend être le meilleur moyen pour se rafraichir. Un long plan fixe ultra-composé témoigne de la naissance du désir, événement imprévisible au possible. Le cinéaste réunit ici les deux tendances que l’on avait toujours envisagé comme contraires au cinéma, l’inné et l’acquis. En cela, Kore-eda est plus que jamais un descendant direct d’Ozu, cinéaste de l’artifice et du Vrai. La fameuse « petite musique des sentiments » est d’autant plus bouleversante ici qu’elle ne se fait pas entendre. Pudeur oblige, les mains prennent le relais de la parole, inconséquente pour rendre compte des sentiments concernés. C’est le témoignage d’un rapport trivial à l’existence pour les enfants, moyen de reconnaissance et d’identification au père avant chaque vol ou la manière de sécher ses larmes, trop insistante pour être naturel et trop sincère pour être jouer.
La résurgence en trompe-l’œil de la situation de départ est alors d’autant plus brutale pour le spectateur qu’il s’était empressé de l’accepter. L’humanité de Kore-eda est de mettre des noms et des visages sur ce qui aurait pu être, au fond, qu’un simple fait divers. Lorsqu’à la fin du film, les différents membres de la famille soumis à un interrogatoire de police regardent directement la caméra, c’est l’œil du spectateur qui change de statut et passe subrepticement de témoin à juge. La distanciation, à priori, dû à cet artifice de mise en scène est précisément le moment où le cinéaste dote ses personnages d’une authenticité jusqu’alors inégalée et embrasse d’un même geste leurs contradictions respectives. Seule une ambivalence, non plus morale mais de fait, en toutes choses, peut expliquer les comportements purement absurdes (au sens camusien du terme) des personnages. Beaucoup de questions demeurent sans réponse dans cette Affaire de famille : pourquoi le fils s’est-il volontairement fait prendre ? Pourquoi la grand-mère accepte-t-elle l’argent ?
A la toute fin du film, Rin, la jeune fille recueillie au départ, retourne dans sa famille d’origine. Du haut du balcon, elle observe un point en contre-bas laissé hors-champ. Qu’observe-t-elle ? L’image-souvenir du bonheur des mois écoulés qui par son existence éclatante, même révolue, se suffit à elle-même ? Kore-eda a gagné le droit de ne pas conclure.