Hollywood 1958.
Macrocosme défiguré en cloaque, inoubliable sous la plume acide et fiévreuse d'Ellroy.
Asile d'attraction dans lequel splendeur et sordide ne savent plus ou il est le plus jouissif de jouer leur partie de grande faucheuse: sous la chaleur glaçante des plateaux immenses ou au fond des tombeaux ardents dans lesquels se donnent des fêtes dispendieuses.
Ce qui frappe le plus celui qui découvre aujourd'hui l'époque et le lieu, c'est qu'au milieu des années 50, l'âge d'or est déjà révolu. De nouveaux et modestes châteaux en stuc se battissent sur les ruines d'une Atlantide monstrueuse. Les années 20 et 30 ont célébré leurs rois fulgurants et bâti pour leurs déesses de titanesques olympes. Des dynasties ont régné, et se sont éteintes avec la brutalité d'un panneau "the end" envahissant l'écran au moment où l'émotion est à son comble.


Parmi ces dynasties englouties, il en est une dont l'éclat parvient encore à briller sous la fine couche de sable qui tente de la recouvrir sous de douces mais inarrêtables vagues. Pour un peu, on pourrait même estimer qu'elle perdure au 21ème siècle. Quatre générations de Barrymore (pseudonyme de scène du patriarche, Maurice) se sont ainsi sacrifiées sur l'autel du cabotinage magnifique, parfaitement synchrones à travers les décennies dans leur façon de brûler les (nuits) planches.


C'est de la deuxième et de la troisième génération qu'il va s'agir ici (nous laisserons Drew, connue de nos plus jeunes lecteurs, poliment de côté). De la lumineuse fratrie à laquelle donne naissance Maurice et Georgina, couples de comédiens de théâtre, Lionel, Ethel et John (et qui ne cessent depuis d'illuminer nos profondes nuits cinéphiles), il en est un qui, plus que les deux autres, se fit connaître autant par une vie dissolue en dehors des studios que par une carrière monumentale (même si, à titre personnel, j'ai une plus grande tendresse pour Lionel).
Il s'agit de John.
John aura deux enfants à la carrière aussi éphémère qu'erratique: John Jr. (père de Drew, la revoilà) et sa sœur Diana. Cette dernière va se faire hacher encore plus rapidement que les autres dans la grande broyeuse Hollywoodienne, et, sauvée in-extremis au moment où elle allait sombrer au fond du précipice, co-écrira un livre qui dissèque les relations distendues et tumultueuses qu'elle entretint avec son père.
C'est ce récit qui est ici redigéré par Hollywood. Le monstre est aussi insatiable que omnivore.


Voyez comme je suis victime de l'emphase. J'aurai pu résumer tout ce que j'ai écrit jusque là par: "la fille d'une gloire d'Hollywood a sombré, et ce film en est le biopic".


Et s'il existe une raison pour laquelle il est indispensable de voir un jour ce film, ce n'est pas forcément pour le rapport édifiant (et sans doute sincère) de cette vie gâchée.
Là où la première heure du film de Art Napoleon (seulement 3 films au compteur, encore une victime) est proprement fascinante, c'est que John Barrymore est incarné à l'écran par Errol Flynn.


Or non seulement Errol a côtoyé John au moment où ce dernier vivait ce qui se passe à l'écran -ils ont été grands amis de beuverie et, malgré leur 27 ans d'écart, ont partagé toutes les folies du fameux âge d'or- mais en plus, Flynn vit en 1958 exactement ce qu'il incarne à l'écran, empruntant en cela le funeste sentier de son ami disparu: un acteur alcoolique, usé, fatigué, éloigné des plateaux et uniquement fréquenté par de pathétiques sangsues de fêtes frelatées, vivant dans un palais déserté et inhabitable, sépulture grotesque d'une gloire révolue.


Il parait à l'écran 10 ans de plus que ce qu'il a réellement, et donne a chacune de ses répliques une épaisseur morbide. Dernier ou avant dernier tournage d'Errol (les racines du ciel sortira la même année), il nous est impossible de regarder cet auto-portrait déchirant sans stupeur: comme si l'industrie du film annonçait sa propre chute avec cette invention démoniaque qu'est la télé-réalité (mais ici écrite par la fille de John Barrymore et interprétée par Errol Flynn, ce qui reste assez éloigné des Marseillais à Honolulu saison 8, vous en conviendrez).


La deuxième partie du film, la déchéance de Diana, pourtant portée par la très belle interprétation d'une Dorothy Malone habitée, dérive un peu trop vers les rivages tourbeux du mélo, surligné par une musique omniprésente, pour maintenir l'intensité d'une première heure vertigineuse pour tout amoureux du cinéma et de son histoire.

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le 22 juin 2017

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guyness

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