Cahier des charges à destination de l'Académie des Oscars
Une bonne histoire suffit-elle à faire un bon film ? C'est toute la question que The Theory of Everything (le titre original, bien plus pertinent ? Pas vraiment, en fait, ça devrait s'appeler Jane & Stephen) pose, et plus généralement c'est une interrogation que soulève la collection de biopics que chaque année la période des Oscars attire : Invincible avec Louis Zamperini, Imitation Game bientôt avec Alan Turing, l'an dernier 12 Years a Slave, etc... Oui, toutes ces histoires et tous ces gens sont sans doute extraordinaires, et l'Académie des Oscars raffole de ces parcours hors-du-commun qui symbolisent la devise bien américaine du Excelsior : l'optimisme et le dépassement de soi. Pour autant, il faut bien être conscient que si l'histoire est bonne sur le papier, c'est un fait établi et acquis depuis la nuit des temps qu'il faut malgré tout un bon conteur pour la restituer : autrement dit dans le cas qui nous intéresse, un bon film, une bonne réalisation, etc...
Bien trop cliché, Invincible d'Angelina Jolie était un échec de ce point de vue là. C'est exactement la même chose pour ce film, en pire.
Posons d'abord les bases. Je me fiche complètement de l'histoire de couple de Hawking au départ. Et c'est bien là tout le problème. Ma curiosité en entrant dans la salle était de savoir comment le film allait réussir à me happer et à me convaincre que cette histoire mérite de nous être contée. Ainsi c'était l'enjeu cinématographique qui m’intéressait : attente légitime, je crois, quand le film en question est nommé dans les plus prestigieuses catégories d'une des plus prestigieuses cérémonies du septième art (pour rappel : meilleur film, meilleurs acteur et actrice). Naïf que j'étais, car ce film mise uniquement sur son histoire, partant du postulat erroné qu'une histoire incroyable se suffit à elle-même. Résultat : comme je m'en fous au début, je m'en fous à la fin.
Et c'est fort dommage, car il y avait de quoi faire bien mieux. D'abord sur les thèmes abordés. Le film peut bien se targuer de sa charge émotionnelle, il est très superficiel en réalité : il prend le parti du pathos et du larmoyant, et jette quelques pistes qui mériteraient d'être bien plus creusées : on ne consacre presque rien à la relation - sans doute compliquée - avec ses enfants, on ne développe pas outre mesure les ambiguïtés de sa femme avec l'autre homme, ni la contestation qu'il provoque dans le milieu scientifique.
En fait, le film n'a pas su choisir entre faire un biopic sur Hawking en tant que scientifique ou une histoire de couple et de handicap. Au final, les deux facettes sont à peine effleurées. Il y avait tant à montrer sur le scientifique, sans risquer de faire un film barbant sur la physique. Si le type a révolutionné la science, montrez-le nous bon sang, montrez nous l'opposition de ses pairs dont il a balayé les certitudes (et pas seulement l'espace d'une réplique). Montrez-nous le génie.
Et s'il s'agit d'un film sur le handicap et l'amour, alors montrez-nous la difficulté des petits gestes du quotidien, du regard des autres, du regard de soi face à son déclin... Montrez-nous tout l'enjeu dramatique. Alors, nul besoin de Hawking si on y pense bien : n'importe quels personnages traversant une telle situation auraient fait l'affaire. Il y a tellement à dire sur le sujet. Le film, il faut être honnête, se concentre davantage sur cette facette, mais tout est trop lisse, trop parfait, dans les rapports entre les personnages.
Parlons maintenant un peu de réalisation. Franchement, c'est le néant créatif. James Marsh a tellement rempli le cahier des charges du cliché que ça en devient comique. Plan "deux amis qui se coursent à vélo parce qu'ils sont jeunes donc heureux et insouciants et ne s'imaginent pas tout ce qui va leur tomber sur le coin de la tronche" : check. Plan "vent dans les arbres" : check. Plan "au bord de la plage" : check. Plan "cheminée qui crépite" : check. Et j'en passe et des bien pires. Ah, et cette lumière... Sérieusement ? Cette surexposition qu'on dirait sortie d'un plateau des Feux de l'Amour. Pitié. Il ne manque plus qu'un gros panneau dans le coin de l'écran clignotant "SEQUENCE EMOTION, SEQUENCE EMOTION".
Pareil niveau musique (qui est nommée elle aussi...) : c'est ultra-calibrée, cliché, bref...
Ne demeure dans ce film que les performances de Eddie Redmayne et Felicity Jones. Et c'est tout. Point barre. Du reste, ce film est une arnaque.
Pas une mauvaise arnaque, dans le sens où nous ne sommes pas en présence d'un odieux navet non plus, mais une arnaque quand même.
Et si ce film gagne l'Oscar face à The Grand Budapest Hotel, je tape un scandale.