Au risque de m'attirer les foudres d'une large partie de la blogosphère ou une mise à l'index de l'intelligentsia critique, je clame et assume avoir détesté Une Séparation d'Asghar Farhadi. Représentant pour moi un sommet de non-cinéma, ce film adulé et primé passe à mes yeux pour le plus surestimé de l'été, voire de l'année 2011. Je mettrai donc un point d'honneur, en dépit de ses quelques rares qualités – jeu impeccable des acteurs, montage soigné – à le pourfendre en perçant à jour sa lourdeur incommensurable.

Lourdeur du sujet, tout d'abord, avec un scénario qui n'est rien d'autre qu'une accumulation monotone d'événements glauques reliant deux familles iraniennes, l'une aisée, l'autre modeste. Le premier couple se sépare. Le mari est accusé d'avoir poussé, sur un coup de colère, sa bonniche enceinte dans une cage d'escaliers et provoqué ainsi une fausse couche. Que peut-il arriver de pire ? Le mari de la bonne, un mordu de la loi du Talion, veut venger sa femme et la mort du fœtus, en traînant l'autre époux en justice, puis en menaçant sa famille. Que peut-il encore arriver de pire ? Le mari accusé se fourvoie dans un engrenage de mensonges pour sauver les siens, mais surtout sa poire, jusqu'à accepter, poussé par sa femme, d'acheter le silence de ses détracteurs avec un gros paquet de fric. Mais la femme soi-disant poussée dans les escaliers refuse de toucher cet argent, par peur d'attirer le mauvais œil sur sa famille et par remords, car on apprend qu'elle a menti. Son mari se barre, accablé, tandis que le couple riche se sépare pour de bon. Retour à la case départ. Générique. On est parti de trois fois rien pour aboutir nulle part. Néant scénaristique. Recherche d'un réalisme affligeant de trivialité qui aboutit à une absence d'enjeux dramatiques, une succession de malheurs dont on finit par se lasser. Un drame pathétique venant paradoxalement flinguer sa raison d'être parce qu'il reste figé dans un premier degré assommant.

Mais la lourdeur du sujet entraîne une autre forme de lourdeur, plus pesante encore, celle de la forme. Prisonnier de son manque de recul sidérant vis-à-vis des faits relatés, Une Séparation apparaît comme un film dépourvu de toute espèce d'ambition artistique, où tout apparaît comme trop évident, trop immédiat pour provoquer le moindre intérêt, la moindre émotion. Qu'on se donne la peine de se rappeler que le cinéma est avant tout l'art du mensonge spectaculaire, et l'on se rendra compte sans peine aucune que ce n'est pas à du cinéma qu'on a affaire ici, mais un simulacre de cinéma, une radiographie incroyablement plate du réel. Sous ses oripeaux de tragédie sociale parfois larmoyante, Une Séparation n'est rien d'autre qu'un sommet d'ennui, interminable et soporifique. Honnêtement, posons-nous au moins une fois la question : quel est l'intérêt cinématographique de ce film ? Quel est l'intérêt de mettre en images une histoire si l'on ne prend même pas la peine d'en faire résonner la teneur dramatique ou symbolique ? Quel est l'intérêt de produire des images prisonnières de leur sens premier, des images unidimensionnelles qui n'ont pas d'autre ambition que de platement se montrer ? Quel est l'intérêt de ce « cinéma » du réel, de la souffrance réaliste ? Le drame d'Une Séparation aurait tellement gagné en force s'il s'était offert une mise en scène moins triviale, moins immédiate, moins prosaïque. Que nous reste-t-il à nous mettre sous la dent, en tant que spectateurs, si l'on nous mâche tout d'avance ?

J'en entends qui voudront me lyncher parce que je ne soutiens pas ce film multi-primé et encensé, issu d'un pays en difficulté. Seulement, quand la bienséance conduit à la mauvaise foi, je refuse tout simplement de la suivre. Je refuse de m'aveugler et de trahir mon intégrité de cinéphile en clamant avoir aimé un film que je déteste. Et je tiens à préciser qu'il n'est absolument pas question ici de discrimination, quelle soit positive ou négative. Je regrette que la plupart du milieu critique se voile la face au nom d'une bienséance hypocrite, pour faire bonne figure. Combien, contre leur opinion, ont écrit des éloges sur Une Séparation, de peur de passer pour des imbéciles ? Combien, dans un élan de paternalisme poussiéreux, ont préféré le porter aux nues plutôt que d'en reconnaître les limites et les défauts ? Je n'attaque pas ici ceux qui l'ont sincèrement apprécié – il y en a, et je respecte leur avis – mais tous ceux qui rentrent dans le moule de la bien-pensance, par lâcheté, par peur de se voir bannir du royaume douillet des Bisounours et autres couards de la pensée.

Pour en finir avec Une Séparation et anticiper d'éventuelles objections absurdes, l'origine géographique du film n'est absolument pas entrée en compte dans ma grille d'évaluation. J'appréhende tous les films que je vois d'une manière tout à fait égale, donnant leur chance à chacun avant la projection. Dans les pays les plus défavorisés comme à Hollywood, les pires films côtoient les chefs-d'œuvre. Malheureusement, à mes yeux, et ce n'est que mon humble avis, Une Séparation appartient à la première catégorie. Pour résumer mon point de vue exaspéré sur ce film, qui pour moi représente l'archétype de l'œuvre d'auteur longuette, chiante et prétentieuse, je laisserai le mot de la fin à un certain Gustave Kervern, qui s'écriait dans un de ses fameux sketchs grolandais : « J'en ai rien à foutre de vos vies de merde ! J'ai la même à la maison ! »

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le 24 juil. 2011

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