Comme l'indique le titre original,"Young Mister Lincoln",le film relate un épisode de la jeunesse du seizième président des Etats-Unis lorsque,avocat débutant,il défendit deux frères accusés de meurtre.Nous sommes dans l'Illinois au 19e siècle.Les deux frangins,de braves fermiers,sont venus avec leur famille assister à la grande fête annuelle de Springfield.Ils ont une altercation avec le shérif-adjoint,un voyou notoire qui cherche à les importuner.En fin de journée,une bagarre confuse oppose les deux paysans à leur agresseur,lequel finit raide mort,poignardé dans le dos.Les présumés coupables sont arrêtés et le jeune Abraham Lincoln décide de les représenter lors de leur procès.Après Griffith mais bien avant Spielberg,John Ford se confronte à la figure mythique de Lincoln.Sur le fond,ce mélodrame judiciaire est un peu too much,mais qu'est-ce que c'est bien foutu!Ford,c'est vraiment la classe.L'image noir et blanc de Bert Glennon est sublime et la mise en scène de Ford est d'une puissance et d'une évidence exceptionnelles.Les décors naturels,particulièrement lors des scènes champêtres,sont superbement mis en valeur et le réalisateur utilise avec talent la profondeur de champ et les changements d'axes.Les plans sont magnifiquement composés et chacun d'eux est une oeuvre d'art.De plus,Ford s'appuie sur de très bons dialogues, une musique folklorique américaine entraînante,et un humour truculent qui allège opportunément le contexte dramatique de l'histoire.Contrairement à ce que prétendent certains journalistes spécialisés,le film ne dresse pas un portrait objectif de Lincoln et fait résolument une hagiographie du personnage.Du reste,nombre des faits soi-disant historiques présentés semblent avoir été abondamment enjolivés.Nul doute que ce vieil Abe ait été un grand homme mais on subodore qu'il n'était peut-être pas aussi parfait que le laisse entendre "Vers sa destinée",qui nous présente un type supérieurement intelligent,profondément humaniste,progressiste éclairé,autodidacte cultivé,épris de justice,malin comme un singe,habile manipulateur quand le besoin s'en fait sentir,sachant utiliser à bon escient la flatterie ainsi que l'humour ravageur et l'auto-dérision grâce à un imparable sens de la répartie.De plus,l'homme est séduisant et toutes les femmes se pâment devant lui mais il a la suprême élégance de faire preuve de retenue et de ne pas abuser de cette situation.Et puis il est d'un courage insensé,n'hésitant pas à s'opposer seul à une foule déchaînée en route pour le lynchage qu'il va rapidement calmer grâce à son charisme et à son éloquence.Venant de la campagne,il n'a pas oublié ses racines et il est proche des gens modestes,ce qui ne l'empêche pas de savoir s'adapter à tous ses interlocuteurs et de briller dans les milieux huppés de la haute société et de la politique.En outre,il est désintéressé et se révèle également un fin limier qui va lors du procès résoudre à lui seul le mystère de l'assassinat qui a conduit ses clients devant le tribunal.Il manquerait plus qu'il passe l'aspirateur.En fin de compte,il semblerait que Ford se soit emparé de la figure tutélaire de Lincoln afin d'y projeter son propre fantasme du héros américain ultime,comme il l'a fait avec les personnages qu'il a confiés à John Wayne dans ses westerns.Il a pour cela légèrement fait abstraction de la vérité historique,appliquant 23 ans à l'avance le credo qu'il formulera clairement dans "L'homme qui tua Liberty Valance" avec la fameuse réplique qui dit:"Si la légende est plus belle que la vérité,écrivez la légende".Juvénile et méconnaissable,Henry Fonda est habité par son rôle et incarne un Lincoln plein d'autorité,flegmatique,imperturbable et déterminé.Détail amusant,un des personnages que Lincoln fréquente dans le film se nomme Clinton,comme un de ses lointains successeurs,du même bord politique d'ailleurs,ce qui permet d'évaluer en comparant les deux présidents le degré de décadence de la société en un peu moins de deux siècles.