Vice-versa
7.5
Vice-versa

Long-métrage d'animation de Pete Docter et Ronnie del Carmen (2015)

Il y a le dehors, exposé, et le dedans, tenu secret. Les faits palpables et leur traitement cérébral. Le déménagement à contre-coeur et la série d'affects qu'il occasionne. Au coeur de ce double récit : une fillette fraîchement déracinée, submergée par la déception, en proie à tous les déchirements intérieurs qu'engendrent la découverte d'un monde nouveau et le deuil d'une vie antérieure. Par un brillant montage alterné permettant au spectateur de bondir d'une réalité à l'autre, Vice-Versa narre selon deux points de vue, physique et cognitif, les bouleversements induits chez Riley, jeune héroïne de onze ans, par un emménagement à San Francisco, où tout semble étrangement flétri et déshumanisé, même la plus anodine des pizzas aux brocolis. En quelques scènes d'exposition, le réalisateur Pete Docter, déjà à l'oeuvre dans Là-haut, donne les principales clefs de décryptage de la psyché humaine : les émotions primaires, élevées au rang de personnages – joie, tristesse, peur, dégoût, colère –, les îles de personnalité – famille, amitié, passion, honnêteté, bêtise –, la mémoire centrale composée de souvenirs-phares, la mémoire à long terme organisée comme une salle d'archives, etc. Les studios Disney et Pixar parviennent à un divertissant et minutieux effeuillage de l'esprit, complété plus tard par le subconscient, le monde de l'imaginaire ou encore le train de la pensée. Connectés à une réalité mouvante, le cerveau et ses automatismes prennent rapidement l'apparence d'une galaxie en expansion continue, à la fois ludique et passionnante, révélée dans un langage compréhensible des grands comme des petits.


Extrêmement coloré, d'une inventivité et d'une amplitude folles, tant sur le plan graphique que scénaristique, Vice-Versa donne l'impression louable de jongler avec les thèmes et les grilles de lecture. Il y est question du sentiment d'abandon, de résilience, d'adaptabilité à un nouvel environnement, de risques psychosociaux, de la famille, et plus généralement de toutes ces émotions et épreuves constitutives de l'être au quotidien. L'épopée vécue dans la tête de Riley, aux côtés de personnages bien moins monolithiques que prévu, mêle aux considérations factuelles et intimes – déménagement, déracinement, désillusions familiales, déconstruction identitaire – des enjeux plus subtils, parfois énoncés en filigrane ou proches de la mise en abyme, tels que le rôle de la tristesse, la notion d'équilibre psychologique, les phobies ou le processus d'oubli. Sans creux ni fausse note, on se délecte de toutes les péripéties censément infra-perceptives de Joie et de ses acolytes, dans un univers cognitif à la fois riche, plastique et surprenant. Enfin, ceux qui s'en inquiètent peuvent se rassurer : dans cette machine si ingénieuse et complexe, les incongruités, clins d'oeil et traits d'humour ont également voix au chapitre, que ce soit à travers une forêt de frites, par le truchement d'une usine à rêves typiquement hollywoodienne, en mélangeant benoîtement les faits et les opinions, via la facétie consistant à apercevoir plusieurs fois l’illusion de déjà vu ou par l'exploration burlesque et volontairement stéréotypée des émotions primaires de chaque protagoniste...


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Cultural_Mind
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le 7 août 2017

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Cultural Mind

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