Par l’intense promesse que celle de ce titre à la poésie prophétique, Viendra le feu joue des contrastes. En suivant la sortie de prison d’un pyromane jadis condamné, l’attente de voir rejaillir les flammes est immédiate. Et c’est pourtant une combustion en sourdine que va offrir cet anti-récit dans les terres rurales de la Galice, où l’on a encore la possibilité de vivre au rythme de la nature.


Amador est de retour sur sa terre, chez sa mère et leurs trois vaches : si la découverte peut avoir une dimension initiatique pour le spectateur, il s’agit pour lui de retrouvailles. Le taiseux se laisse envelopper par un silence qui fait la part belle aux éléments : le ronronnement du poêle, le crépitement de la pluie, le souffle du vent. Dans ce film très court (85 mn), le temps se fige au profit d’une contemplation qui exhale la puissance organique de la nature. Les paysages, sublimes, sont sans cesse en osmose avec les éléments (la brume, la pluie, l’ondulation du vent sur les herbes, et perdent la silhouette d’un homme qui semble conscient de la juste place qu’il occupe dans l’univers.


Lors d’un des rares échanges avec une autochtone, une femme déclare : « Pas besoin de comprendre les paroles pour aimer la musique » : c’est là le programme audacieux de ce film d’une opaque clarté. Car si son large cœur fait la part belle au silence et à l’absence d’intrigue, il est néanmoins entouré de deux séquences d’une intensité folle, qui éclairent d’un jour nouveau cette osmose apparente à la nature. Dans la séquence nocturne d’ouverture, des bulldozers abattent des arbres, qui, lentement, s’effondrent et rejoignent la masse noire du sol, jusqu’à ce que la destruction se suspendent face à la majesté d’un tronc à la densité impressionnante. Une scène grandiose, qui rappelle la manière dont Lynch filme la forêt dans Twin Peaks, parvenant à lui restituer son épaisseur fascinante, effrayante et magique.


A l’autre bout du spectre, l’attente de la promesse, du contrepoint d’une autre destruction, par la lumière incendiaire cette fois, et la suspicion de voir notre protagoniste impliqué dans l’affaire. Quelques maigres indices (les remarques désobligeantes des locaux, une réflexion sur l’invasion des eucalyptus et la perspective de voir le tourisme de masse débarquer dans ces lieux protégés jusqu’alors) permettent quelques hypothèses, mais l’essentiel est ailleurs. Oliver Laxe cherche, par cette suspension du rythme et cette approche contemplative, à nous rendre familier ce qui ne pourrait être qu’un paysage. Viendra le feu explore l’épaisseur de la terre et la vie invisible, en témoigne la thématique de l’eau et de la boue, notamment lors ce cette séquence où une vache se retrouve coincée dans une mare.


Cette approche averbale et profondément sensitive du monde est parfaitement menée : entre l’inquiétante étrangeté inaugurale et la promesse cathartique du dénouement, il aura questionné l’immanence d’une nature dont nous ne sommes que les hôtes éphémères. L’opacité de l’écriture est dès lors à considérer comme une nouvelle porte vers l’invisible, un secret silencieux dont Amador restera à tout jamais dépositaire, et qui chante un lien entre l’homme et le monde sur le point de se perdre.


(7.5/10)

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