Vivre ou survivre est le propre même de l'humain, voire de l'animal en général doté d'un instinct de survie. Seulement, l'homme dans la société contemporaine s'est oublié et a oublié comment vivre, il se contente uniquement de survivre. Le film commence très fort en se construisant sur un schéma inversé, le film, paradoxalement au même titre que son protagoniste, Watanabe commence sans vie en nous montrant une société, des personnages sans but, si ce n'est que celui de subsister, seulement, au fur et à mesure que Watanabe se rapproche de la mort, le film gagne en vie, où Kurosawa insuffle des scènes de plus en plus vivantes et humaines jusqu'au moment le plus vivant du film, qui encore une fois créer va un paradoxe, c'est la veillée funèbre.


Paradoxal ? Non, ici, Kurosawa cultive l'art du memento mori, ou du moins un de ses aspects, à la fois dans la structure du film, mais également ses thématiques. Watanabe, au travers de son voyage final va être un représentant de ce que chaque homme et femme peuvent traverser au rappel concret de leur mort.
Dans la première phase de ce memento mori, il va partir dans une recherche de plaisirs vains : l'alcool, les femmes, les jeux d'argent, acheter à n'en plus compter, dans une recherche de la vie lorsque l'on ne s'impose pas de limites, mais en somme, une vie éphémère et non-gratifiante. Cette phase est tout à fait normale et plus d'un individu traverserait la même probablement moi y compris ce qui renforce le personnage de Watanabe. La seule exception serait ceux vivant déjà leurs vies de cette manière, dans quel cas, ils seraient probablement plus affligés par du regret d'avoir perdu toutes ces années dans de tels plaisirs et ils passeraient directement à la deuxième phase.
Ensuite, la deuxième phase est marquée par une recherche du concret, très souvent cela se traduit par une volonté de se rendre utile, chez certains, de manière désinteressée comme c'est le cas pour notre protagoniste, d'autres dans une recherche de gratification, même post mortem.
Seulement voilà le memento mori ne s'arrête pas à Watanabe puisque nous allons tous mourir un jour, le problème, c'est que la mort paraît aujourd'hui tellement lointaine, bien plus qu'à l'époque qu'on en vient à l'oublier, là est son intérêt, de nous rappeler à l'ordre et nous faire comprendre le réel sens de notre vie, Kurosawa le montre pendant la veillée funèbre quand les protagonistes excusent leur inactivité par le fait que Watanabe était conscient qu'il allait mourir donc il s'en foutait des répercussions avant d'être vite rappelés à l'ordre que chacun d'entre eux peut mourir n'importe quand et pourtant ils n'en font pas autant que lui.


Cette conscience de la mort de la part de tous les autres protagonistes les pousse à prendre des résolutions, à prendre conscience qu'ils ne peuvent pas vivre comme Watanabe ces trente dernières années, devenir la momie, seulement voilà, le lendemain de la veillée funèbre, la mort derrière eux, ils la perdent de vue et tombent dans leurs vieux travers. Cela nous montre également une profonde leçon sur la société et son administration qui dans le fond fini toujours par gagner, l'administration l'emporte sur ses membres en détruisant leur bonne volonté au fur et à mesure, mais l'administration l'emporte aussi sur nous, le peuple en nous baladant de bureau en bureau jusqu'à ce que l'on finisse par abandonner et au final rien n'est réellement accompli, on se retrouve coincé dans le même cercle sans fin, comme des hamsters dans une roue qui nous empêche d'avancer peu importent nos efforts.


Ce film a également de profondes réflexions sur la famille et montre habillement que beaucoup de ces personnes se retrouvant dans des métiers où ils ne sont pas heureux, finissent par vivre par proxy au travers de leur famille comme c'était le cas de Watanabe. Seulement voilà, il a perdu sa femme et son fils a grandi et fondé sa propre famille au point que sa vie n'ait plus vraiment de sens, mais la réflexion ne s'arrête pas là. En effet, vient ensuite la thématique de ce que les enfants doivent à leurs parents et en quoi ils ont droit. Cette thématique est illustrée au travers de son fils et de sa belle-fille qui parlent de le manipuler pour utiliser son argent pour leur propre plaisir, mais quand Watanabe, lui, l'utilise pour son plaisir, certes vain, son fils le sermonne alors qu'il s'agit de son argent. Vient ensuite la question : est-ce que les enfants doivent quelque chose à leurs parents ? Ici Kurosawa rend sa vision des choses très claire, la réponse est non. Un enfant ne doit rien à ses parents, car il est normal que des parents élèvent correctement un enfant qu'ils ont voulu bien que ça ne soit malheureusement pas toujours le cas, seulement voilà, cela n'empêche pas d'être reconnaissant envers eux.


Kurosawa nous donne ici une œuvre fascinante, profonde et profondément marquante. J'en ai en réalité seulement effleuré la surface dans cette critique bien que j'en ai relevé les différentes thématiques clefs. Je ne voyais honnêtement pas l'intérêt de faire une critique purement cinématographique et je trouvais ça plus pertinent de partir sur une critique thématique, car comme son nom l'indique, c'est un film qui doit se vivre.

sAde_
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le 25 janv. 2021

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