L’asile, une terre plantureuse sur laquelle Miloš Forman va faire germer une parabole subversive cramponnée à l’aliénation, au totalitarisme et aux oukases du conformisme. Son hôpital psychiatrique, désespérément froid et dépouillé, se teinte d’un blanc livide privé de toute fantaisie, affublant tant les murs que les codes vestimentaires. Il sera le théâtre d’une normalisation à marche forcée, déclinaison fardée d’un Printemps de Prague réprimé dans le sang quelques années auparavant. L’allégorie est chargée de chevrotines : à la folie concentrationnaire se juxtapose la mise à nu d’un système oppressif et liberticide, d’une prépotence propre à éveiller les tristes résonances de la Tchécoslovaquie natale de Miloš Forman.


Les duellistes


Incarcéré pour viol qualifié, le « paresseux » et « belliqueux » Randle McMurphy s‘autorise une résistance résolue contre la norme. Fort en gueule, il se heurte méthodiquement à l’intraitable Ratched, infirmière en chef autoritaire et sadique, interprétée par une Louise Fletcher marmoréenne. Les rictus carnassiers de l’un s’inscriront précisément au rebours des attitudes psychorigides de l’autre. Prêtant ses traits au trublion non-conformiste en réhabilitation, Jack Nicholson campe avec maestria un antihéros provocateur, renégat et rusé, n’ayant échappé aux travaux forcés qu’en simulant la démence. Ses interventions parmi la communauté asilaire, virulentes ou compassionnelles, constitueront l’épine dorsale d’une fable humaniste douce-amère, charpentée en orfèvre par le maître en devenir du biopic.


Tiré d’un roman contestataire vieux de treize ans, de Ken Kesey, Vol au-dessus d’un nid de coucou radiographie la sujétion, l’insubordination et les pressions psychologiques – la violence larvée, les patients placés sous la coupe de Ratched, les tentatives d’intimidation à l’endroit de Billy. Comme Georges Franju et Samuel Fuller avant lui, Miloš Forman brandit un microcosme révélateur aux caractères « médico-falsifiés ». Couronné d’une brassée d’Oscars, aéré par les saillies humoristiques, son pamphlet est irrigué par un venin chauffé à blanc, généreusement distillé par Lawrence Hauben et Bo Goldman, les scénaristes, qui mêlent brillamment l’intime et le collectif, réduisant l’asile et son environnement à la grâce d’un pilleur de tombes, aidé en cela par la photographie glacée d’Haskell Wexler.


Stupeur et tremblements


Crédité en tant que producteur, Michael Douglas peut allégrement se frotter les mains. Vol au-dessus d’un nid de coucou a non seulement amassé les statuettes, mais aussi consacré son maître d’œuvre et conquis une place de choix dans le cœur des cinéphiles. Tantôt sous cape, tantôt sous anabolisants, ses allusions et fulgurances portent le récit à des hauteurs insoupçonnées : une musique d’ouverture suave, en totale inadéquation avec le milieu portraituré ; une entrevue inaugurale mordante, jetant un voile de lumière sur la personnalité torturée de Randle McMurphy ; des parties de pêche et de basket loufoques à souhait ; une bordée de pilules que chacun se doit d’avaler aveuglément ; des horaires aussi inflexibles que Miss Ratched ; un Indien autiste qui ronge son frein en silence ; une hystérie occasionnée par la confiscation risible de cigarettes ; des commentaires enfiévrés sur un match de coupe du monde imaginaire ; un tripot de psychosés improvisé insoucieusement. Et surtout, clairs comme du cristal, la stupeur effarée d’un apprenti aliéné et les tremblements nerveux d’une institution qui ne cessera plus de tanguer.

Cultural_Mind
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le 15 avr. 2018

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