My dear hunter
Avec voyage au bout de l'enfer, l'occasion nous est d'emblée offerte de revenir sur le désastre que peut constituer un titre français par rapport a l'original (désastre qui peut s'appliquer aux...
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le 10 mars 2011
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En 1978, Michael Cimino réalise Voyage au bout de l’enfer, son second film après Le Canardeur avec Clint Eastwood. Une œuvre magistrale, couronnée de 5 oscars lors de la cérémonie en 1979 : meilleur film, réalisateur, montage, son et second rôle pour Christopher Walken.
La tragédie prend place en Pennsylvanie dans la ville industrielle de Clairton. On fait connaissance avec une bande d’amis aux caractères bien différents. Il s’agit de Michael (Robert De Niro), Nick (Christopher Walken), Steven (John Savage), Stan (John Cazale), Chuck (Chuck Aspegren) et John (George Dzundza). Ils travaillent dans l’usine de sidérurgie de la ville, sauf John qui est le tenancier du bar local. Un lieu où ils se retrouvent pour s’épancher et s’enivrer, afin de tenter d’oublier leur quotidien.
C’est le jour du mariage de Steven. Dans deux jours, il part avec Michael et Nick pour la guerre du Vietnam. Ils sont fiers de servir leur pays. La bande est joyeuse. La fête est fastueuse. Au sein de cette célébration, Lynda (Meryl Streep) est au bras de Nick, tout en échangeant des regards ambigus avec Michael. Le triangle amoureux prend place, ainsi que les rapports entre les différents membres de cette bande. L'événement signe aussi la fin d’une période d’insouciance. Ils sont liés intimement et leurs vies vont irrémédiablement basculer.
Le film est d’une durée de trois heures. Il se découpe en quatre segments.
Dans la première partie, Michael Cimino prend le temps de mettre en place les divers ressorts dramatiques et de présenter ses personnages. Avec sa caméra, il offre de nombreux plans larges de la ville avec la fumée s'échappant des fourneaux de l'usine, des arbres aux branches nues, du froid et de l'humidité qui règne dans la grisaille de ce lieu où les rues sont désertes.
La vie semble difficile pour ces hommes se perdant dans des litres de bières pour oublier leurs quotidiens. Elle est tout autant pour ces femmes maltraitées, acceptant les coups, comme si c'était normal. La dépression et la folie planent sur eux, on la perçoit dans leurs regards, comme dans celui de Robert de Niro aux propos qui semblent souvent incompréhensibles. La joie se fait parfois ressentir, mais toujours après quelques verres d'alcools, comme au bar, puis au mariage. Ces scènes aux dialogues minimalistes, sont l'occasion pour Michael Cimino de démontrer sa maestria en plongeant sa caméra dans la foule, puis de remonter à la surface pour nous montrer divers visages et situations. Les regards s'échangent sur la piste de danse ou au comptoir du bar. On ressent une tension mais aussi de l'affection entre eux. L'apparition d'un soldat mutique sorti de nulle part, est un prélude à ce qui attend les trois amis, un avertissement au sujet de leurs futurs. Mais ce sont des patriotes, fiers de partir servir leur nation.
Cette première partie est magistrale. La seconde est moins passionnante et pourtant indispensable pour la suite des événements. Sans transition, on se retrouve au cœur de la guerre. Les corps sont ensanglantés. Les faits se déroulant sous nos yeux sont insoutenables. Michael Cimino semble moins à l'aise dans l'action, tout comme John Savage cabotinant jusqu'à l'excès. Le temps a passé depuis leur départ pour le Vietnam. Leurs regards sont différents. Pourtant, Robert de Niro reste fidèle à sa promesse et ne veut pas partir sans ses deux amis, quel que soit le prix à payer. Cette amitié est forte, même si des femmes se sont immiscées entre eux.
La scène de la roulette russe est un moment culte de l'histoire du cinéma. Elle est d'une tension et d'une grande violence psychologique. C’est le moment charnière où la personnalité des protagonistes prend une tournure dramatique. Dans la ville de Clairton, la folie était déjà perceptible. Dans la jungle vietnamienne, elle prend corps et les mène à défier constamment la mort.
Les blessures sont tout autant physiques, que psychologiques. Une distance s'installe entre ceux qui ont affronté les horreurs de la guerre et ceux restés au pays. Il y a comme le sentiment de ne plus être à sa place, de ne pas pouvoir raconter ce qu’ils ont vécu et ne pas pouvoir être compris. Ils étaient partis avec le sourire. Ils en reviennent brisés. Ils ne sont plus que l'ombre de l'homme qu'ils étaient avant d'atterrir au Vietnam. Il y a une cassure entre eux, même si le mal était déjà présent avant leur départ.
Cette troisième partie retrouve la réussite de la première. Michael Cimino semble plus à l'aise sur les terres arides de la Pennsylvanie, que dans la moiteur de Saïgon. Est-ce dû à la présence de Meryl Streep? Surement. Elle est touchante au sein du triangle amoureux troublant avec Robert de Niro et Christopher Walken.
La quatrième et dernière partie est la conséquence des événements précédents. Les bons sentiments ne parviennent pas à apaiser ces hommes, pris dans une folie qui ne cesse de les tourmenter, jusqu’à son inéluctable fin.
Voyage au bout de l'enfer n’évoque pas seulement la guerre du Vietnam, ainsi que du visage d'une certaine Amérique. Le film parle aussi de l’amitié, de l’amour et de l’immigration.
La fresque est à la hauteur des ambitions de Michael Cimino. Il montre un visage peu glorieux de son pays, bien loin des productions hollywoodiennes, exaltant le patriotisme en faisant l’apologie de la guerre. Le casting est impressionnant avec Robert de Niro, encore une fois éblouissant. L’ambiguïté de son personnage, le met en permanence sur la corde raide. Il s'est investi corps et âme dans cette aventure, repérant les lieux de tournage avec le réalisateur, en vivant des semaines au cœur de la ville de Clairton et en demandant à son ami John Cazale de jouer avec lui, malgré son cancer des os. Ce dernier décédera avant la fin du montage du film. C'est aussi l'occasion de redécouvrir cet immense acteur, dont la filmographie est parfaite : Le Parrain 1 & 2, Conversation secrète et Un après-midi de chien. Christopher Walken rivalise avec Robert de Niro, lors de l’intensité de leurs face à face. Grâce à sa performance, son talent est reconnu dans cette œuvre intemporelle. John Savage est plus en retrait dans un rôle difficile à appréhender, pris en étau entre les deux acteurs principaux, alors que Meryl Streep trouve son premier grand rôle. Elle apporte une dimension humaine auprès de ces hommes brisés par la guerre.
Les acteurs ont bénéficié d’une grande liberté d'improvisation et cela se ressent, conférant une forme de sincérité dans leurs rapports. Ce réalisme sied à cette tragédie se déroulant dans les paysages de la Pennsylvanie. L'homme se retrouve face à la nature, comme lors des scènes de chasse où le regard du chasseur se perd dans celui d’un majestueux cerf.
Voyage au bout de l’enfer est aussi un hymne à la nature, à sa beauté et pureté, malgré les tentatives de l'homme de la dénaturer. L'œuvre se rapproche d'un autre monument des années 70, Délivrance de John Boorman. La musique de Stanley Myers rivalise avec le banjo d'Eric Weissberg. Enfin, l'immigration est un autre des thèmes abordés. L'Amérique s'est construite sur un génocide, en vouant un culte aux armes et par extension, à la violence. Michael Cimino traitera le sujet plus en profondeur dans son film suivant Les Portes du Paradis, dont la production mène à la perte d’United Artist. Le réalisateur continue de développer ses mêmes thématiques dans son dernier grand film L'année du dragon.
Michael Cimino est un immense réalisateur, victime de sa folie des grandeurs et de sa recherche absolue de la perfection, comme la plupart des génies. Ses œuvres sont intemporelles. Ce sont des critiques virulentes envers la grande Amérique, comme le démontre God Bless America, ce chant patriotique déclamé avec beaucoup d'amertume pour conclure sa somptueuse fresque.
Créée
le 29 juin 2023
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