sept 2011:

Voilà un film qui renvoie à la nuit de mes temps cinéphiliques. Je l'ai vu pour la première fois quand j'estois marmot, de 10 à 12 printemps. Je m'en souviens bien. Mon père venait d'acheter un magnétoscope VHS et n'avait que deux cassettes, "Class 84" et celui-là. Grand écart qui laisse songeur. Je me les passais en boucle, aussi effrayé et fasciné par l'un que par l'autre, mais bien entendu pas pour les mêmes raisons.

C'est aussi je crois le premier film que j'ai vu avec tous ces comédiens. Robert De Niro, Meryl Streep et Christopher Walken (dans une moindre mesure John Savage) entraient dans ma cinéphilie pour y rester durablement ancrés.

Même si la photographie de Vilmos Zsigmond est parfois magnifique grâce à de nombreux plans de contemplation dans les majestueuses montagnes (les Cascades de l'État de Washington), froides et bleues, mais également à la superbe recherche d'harmonies entre les bleus, les rouges et les noirs de la nuit industrielle et urbaine, ce film est avant tout une œuvre de comédiens.

De nombreuses scènes sont bâties par un gros travail d'acteurs, une incroyable maitrise dans les silences et les regards. C'est peut-être Meryl Streep qui m'a le plus ébloui avec ce jeu tout en retenue, d'une telle vérité, si simple, vraiment un boulot d'orfèvre. Christopher Walken impressionne également, pas uniquement grâce à son physique hors norme. Il n'est pas juste ses yeux globuleux et sa face anguleuse, il est vraiment doué. De Niro a un rôle peut-être un peu moins exigeant que ces deux-là, incarnant la mâle assurance, une sorte de héros, sage et intègre, dont le courage et la force servent de tuteurs à tout le groupe. Savage use de son corps et sa pâleur, blonde et fragile pour jouer le petit papier qui se déchire.

De déchirements, de destructions, il n'est question que de celà dans ce film, parfaite illustration du gâchis de la guerre. Peu importe la victoire ou la défaite finale. Tous les hommes reviennent de la guerre meurtris dans leur chair ou dans leur âme, mâchés, écrasés, inaptes à vivre comme avant.

La séparation entre les deux périodes, d'avant et d'après guerre, est très nette. Pas de césure. Avec ces scènes où l'amitié virile, communautaire s'étale dans l'exubérance d'une partie de chasse, au pub, dans la grâce ou la liesse populaire d'un mariage (a-t-on jamais vu aussi véritable fête de mariage?), la bande de copains exprime toute l'innocence et l'inconscience d'une Amérique en paix, livrée à ses tracas familiaux, ses embarras privés, aux aléas d'un simple quotidien.

Soudain, le vert de la jungle et le marron de la boue éclaboussent les personnages, les ensevelissent, les transforment en animaux. L'outrance émotionnelle que la guerre excite, oblige les hommes à trouver dans la folie ou la sauvagerie des espaces de survie, mais à quel prix? Ils s'amputent, se mutilent et ne reviennent jamais tout à fait. Au sourire et à la parole facile se substituent le mutisme et l'évitement, quand ce n'est pas la mémoire qui s'échappe.

Cette deuxième partie du film est tout aussi astucieusement mise en scène que la première. Je ne suis pas particulièrement un inconditionnel de Michael Cimino, mais difficile de lui retirer la paternité de ce petit miracle, dans la construction et la mise en forme d'une histoire assez périlleuse à raconter.

Je suis juste un peu perplexe par rapport à la toute dernière scène, quand on retrouve les survivants du groupe attablé qui chantent un hymne patriotique. Je ne comprend pas que de tels personnages ne soient pas portés par les évènements traumatisants qu'ils ont subi à une remise en question de leur nationalisme. Le dernier plan sur la bannière "Serving god and country proudly" est peut-être ironique, mais rien n'est moins certain. A la gravité des souffrances endurées, il est encore plus triste que les personnages n'expriment aucune espèce de début de révolte. Sont-ils finalement moins inconscients, moins inertes? Pas sûr. Le film se termine sur cette note d'amertume, d'autant plus que les intentions du scénaristes et du réalisateur paraissent un peu floues.

Je vais paraitre tatillon, mais pour un film de cette importance, je pense ne pas trop exagérer en disant que je suis un peu déçu par le blu-ray sur quelques séquences très granuleuses, notamment quand la caméra filme des endroits un peu sombres dans la jungle ou bien quand de la fumée vient à obscurcir le plan. Cela dit, dans l'ensemble, l'apport du blu-ray reste indéniable sur de nombreuses scènes, bien plus nettes, évidemment, que sur les anciennes éditions dvd ou a fortiori vhs.
Alligator
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le 19 avr. 2013

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Alligator

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